Réflexions sur l’endura

Après avoir traité plus avant la façon dont les bonshommes effectuaient leurs périodes de jeûne annuelles à date fixe, nous est venu l’idée et le besoin de se questionner au sujet de «l’endura »(1). Les inquisiteurs de l’époque, puis les historiens à grande majorité d’obédience catholique, ont décrit cette pratique comme étant une forme de suicide, liée de la part des cathares à une « sainte horreur » du monde et donc de la vie terrestre et corporelle. Ensuite, pendant des siècles, l’histoire et la « religion » cathares sont restées des sujets tabous.
Au milieu du XIXème, à la faveur de la découverte de nouveaux documents, le catharisme a été étudié de façon un peu plus impartiale, notamment par des historiens protestants. Concernant l’endura, ces derniers sont toutefois restés dans le droit fil de leurs homologues catholiques. Les historiens contemporains enfin, soucieux d’une plus grande objectivité et disposant de nouveaux éléments, ont montré qu’il ne s’agissait aucunement d’une forme de suicide, mais d’une recherche de détachement ultime, des témoignages montrant que les « revêtus » cathares se livraient aussi à cette pratique. Mais selon eux, l’endura ne serait apparue que dans la période au cours de laquelle le catharisme était persécuté et aurait, en quelque sorte, dégénéré.
En marge des historiens officiels, d’autres chercheurs ont essayé de définir l’endura comme un rite initiatique, s’attirant du même coup les foudres des universitaires pour lesquels ésotérisme rime avec occultisme, et rite initiatique avec pratiques maléfiques. Il n’est nullement dans notre propos de changer l’histoire du catharisme, beaucoup de chercheurs de renom y consacrant leur temps et leur énergie. Notre objectif est seulement d’attirer l’attention sur cette pratique « originale » qui, comprise différemment, révèle, avec le consolament, une facette ignorée de la spiritualité cathare.

Il est bien évident que l’Inquisition avait tout intérêt à condamner l’endura comme étant un suicide, puisqu’elle condamnait le suicide ; de la même manière elle traitait les cathares de manichéens pour mieux les combattre.
C’est pourquoi il ressort de la plus grande partie des documents que l’endura était une pratique « occasionnelle » et en quelque sorte « réservée » à des personnes qui, sur leur lit de mort, voulaient devenir « parfaites » sans avoir connu les différents stades du noviciat et de l’enseignement spirituel cathare. Mais cette vision, qui a pourtant prévalu jusqu’au début du XXème siècle, peut se montrer trop réductrice.

La description de cette pratique dans les derniers moments du catharisme peut s’expliquer non parce qu’elle est apparue à ce moment-là, mais parce que les dépositions (sûrement orientées) la décrivent à cette époque là comme un élément supplémentaire à charge pour l’accusation. Ainsi, affirmer que l’endura ne se pratiquait pas avant la date du premier document qui en parle n’est pas forcément probant. C’est un peu comme soutenir que la Terre ne tourne que depuis Galilée…
Jean Duvernoy, qui a consacré sa vie à l’étude du catharisme, affirme : « Il n’y a aucune trace de suicide ou de meurtre rituel dans les traités polémiques anti-cathares ni dans les chroniques contemporaines. Le christianisme cathare n’a jamais fait l’apologie de la mort, n’a jamais prôné le suicide. »
Mais il ajoute : « Dans les registres de l’Inquisition méridionale et seulement au début du XIVème siècle on voit apparaître un jeûne rituel proprement baptisé endura. Cette obligation de jeûne s’impose à tout nouveau consolé, même sur son lit de mort. Le consolé doit alors observer l’intégralité des obligations du parfait dont celles de ne pas manger avant d’avoir dit le Pater, de ne pas manger d’aliments carnés et de ne pas manger seul. Dans les temps de paix, les mourants consolés sont transportés dans les maisons des parfaits où l’on attend leur mort » .

A elle seule, la première phrase ci-dessus met en exergue toute l’ambiguïté qui persiste de nos jours, en faisant passer l’endura comme une « trouvaille » des « bonshommes méridionaux des derniers jours » pour garantir, dans l’urgence, les bienfaits du consolament aux personnes dont la mort était imminente. Cette possibilité, avec quelques nuances mineures, est bien entendu la seule retenue par l’Histoire, l’église en place accentuant volontairement le côté suicidaire d’une telle pratique pour mieux la condamner.
Quant à la dernière phrase de Duvernoy, elle montre que dans les temps de paix, les mourants consolés vivent – le plus simplement du monde – leurs derniers jours dans la communauté des parfaits, considérés comme des parfaits eux-mêmes, pratiquant l’endura sans qu’il soit besoin de le spécifier, l’environnement des Bonshommes assurant une caution manifeste à leur motivation.

En réalité, on retrouve cette pratique bien antérieurement à l’émergence du catharisme, et elle a bien une signification beaucoup plus importante, comme une sorte de jeûne ultime, non pas pour aller à la mort, mais pour être en état de renaître en tant qu’homme nouveau. Dans ces conditions, elle peut être assimilée au « trespassament » que les cathares pratiquaient, et à travers lequel Anselme d’Alexandrie n’a vu qu’une sorte de punition infligée aux parfaits les plus fautifs.
L’endura n’était ni occasionnelle ni tardive. Elle faisait partie du rite et s’appliquait à tout récipiendaire du consolament. On a écrit à cette occasion qu’il s’agissait pour la communauté de s’assurer de la capacité du « novice » à franchir ce nouveau cap. C’est exact, mais encore une fois réducteur, car cette vision « externalisée » des choses – bien conforme à la pensée catholique romaine – en oblitère la partie fondamentale : l’endura était le passage obligé, intérieur et individuel, du vieil homme à l’homme nouveau.

Les inquisiteurs ont eu le souci d’exhumer les ossements des hérétiques, n’hésitant pas à profaner leurs sépultures, mais il n’est jamais question (à notre connaissance en tout cas) des sépultures des « véritables parfaits.(2) » Dans un document, il est question d’un parfait qui s’est fait enterrer dans un « abri sous roche, » sans autre explication. Bien entendu le cimetière catholique n’avait aucun sens pour les bonshommes, mais se faisaient-ils ensevelir après leur mort dans une grotte ou s’y retiraient-ils de leur vivant pour y finir leurs jours (3) ?
Les documents attestent que le revêtu devait se mettre en endura après avoir reçu le consolament pour une période probatoire qui devait durer trois jours sans manger et sans boire. Outre le fait que cela semble la limite que le corps humain puisse accepter, cette durée de trois jours est à mettre en parallèle avec les trois jours dont parle Anselme d’Alexandrie (4). Ce dernier fait mention d’une « peine » de trois jours sans manger et sans boire pour ceux qui auraient gravement « failli ». Ce jeûne particulier était appelé « trapassandum » en latin, mais ce mot latin n’a jamais existé avant le 12eme siècle. Il a donc servi à traduire le mot occitan « trespassament » qui a donné le mot trépas en français, c’est-à-dire le fait de « passer trois jours ». L’endura était-elle le trespassament, et trouve-t-on son origine dans les Ecritures ? Il semble qu’on puisse répondre par l’affirmative.

Cette période de trois jours se retrouve bien sûr dans les trois jours du Christ au tombeau, sous le signe de Jonas, mais assez curieusement dans « le miracle » de la multiplication des pains. Ce miracle mérite une attention particulière, parce qu’il y a en fait deux miracles, comme le souligne Lanza del Vasto (5) dont il est proposé ici un résumé :

« Le premier miracle parle de 5 pains, 5000 hommes et il reste 12 corbeilles.
5 est le chiffre de l’homme, conjonction du 3 masculin et du féminin 2.
Les 5000 hommes sont avec les 5 pains et montrent que chaque pain divin répond à une vertu de l’homme. Justice, Vérité, Sagesse, Vertu, Amour.
12 est le nombre du cercle, du ciel, des cycles de l’Histoire. Les 12 corbeilles pleines signifient qu’avec les vertus divines qui n’ont pas pu être absorbées par celui qui participe au Repas divin il y a encore de quoi répandre la Grâce sur tous.
Dans le 2eme miracle, il s’agit de 7 pains, de 4000 hommes et de 7 paniers qui restent:
On dirait le récit du même miracle et pourtant…
Dans le premier miracle, il est dit « Jésus avait pitié d’eux car il les voyait comme un troupeau sans berger ».
Dans le récit du 2ème miracle il est dit « ils sont ici depuis 3 jours ». Depuis 3 jours cette foule était donc présente avec Jésus dans le désert sans manger et sans boire et c’est Jésus et non pas eux qui pense à pourvoir à leurs besoins ! Il y a là quelque chose de plus que dans le premier miracle : il ne s’agit plus d’un troupeau sans berger, il s’agit maintenant d’un troupeau qui a trouvé son berger, qui l’a choisi et s’y attache. Chacun oublie sa personne pour rester auprès de lui. Et les nombres montrent aussi qu’il s’agit d’autre chose et d’un plan supérieur car 7 est le nombre de la plénitude : 7 sont les dons de l’Esprit saint. 5 est le nombre de l’homme naturel, 7 est celui de l’homme spirituel.
Dans le premier miracle il est question des pécheurs, de ceux qui errent sans guide et le Sauveur se présente comme un remède, comme un supplément de forces pour continuer à progresser.
Le second miracle s’adresse à l’homme spirituel ou qui est en voie. Les 7 pains représentent le don de l’Esprit et ce don s’adresse à 4 mille hommes, le 4 est pour ainsi dire le corps du nombre 7 dont le 3 forme la tête. Le nombre 7 est la conjonction du naturel et du spirituel c’est pourquoi c’est le symbole de l’homme supérieur. Alors que le 5 est la conjonction du masculin et du féminin c’est à dire de deux opposés qui se trouvent sur le même plan, la conjonction qui a lieu dans le 7 est verticale et il y a disproportion entre les 2 conjoints, 4 naturel et 3 spirituel et divin. Et quand les 7 pains ont été distribués, non pas divisés mais multipliés dans les 4 éléments naturels de l’homme, leur ajoutant ce supplément qui n’est pas humain (comme un ferment?) quand l’esprit a rempli toutes les coupes qui se sont présentées pour le boire, il reste tel quel, 7 corbeilles. Tel quel puisque le nombre qui l’indique reste le même, mais plus abondant encore puisque le pain singulier est devenu corbeille. »

Outre la signification symbolique des nombres et du pain (et des poissons), la période de jeûne de trois jours est clairement indiquée, et cette endura transforme les simples « auditeurs » en véritables « croyants », les disciples qui sont autour de Jésus !

Un des sens profonds de l’endura est à rechercher dans cette remarque d’Emmanuel Gabellieri (6) : « Ne plus vouloir vivre quand le don de la vie est devenu impossible, mourir littéralement d’amour, comme d’autres mystiques ont pu l’exprimer, n’est-ce pas là l’ultime vérité de Simone Weil qui écrit : « il doit y avoir des moments où, du point de vue de la raison terrestre, la folie d’amour est seule raisonnable. Ces moments ne peuvent être que ceux où, comme aujourd’hui, l’humanité est devenue folle à force de manquer d’amour….[..] si profond que soit cet amour, il y a un moment de rupture où il succombe, et c’est le moment qui transforme, qui arrache du fini vers l’infini, qui rend transcendant dans l’âme l’amour de l’âme pour dieu. Ce n’est en rien un suicide, c’est en quelque sorte le “ don ultime”. »

Cela dit, les preuves réellement authentiques sont difficiles à trouver, puisque le vrai catharisme – celui du temps de paix, avec ses pratiques, ses prières, ses rituels – nous est complètement inconnu. A notre disposition, des témoignages peut-être extorqués sous la torture, et quelques documents dont l’authenticité absolue n’est pas démontrée concernent en effet des périodes fort éloignées des temps bénis où les « bonshommes » circulaient librement sur les chemins, et où parfaits et parfaites tenaient maisons pour enseigner leur doctrine.
Il est toujours délicat de faire la part des choses en ce qui concerne la pratique de l’endura. Dans son livre (très controversé) sur les Albigeois et Cathares, le « sulfureux » Fernand Niel écrit : « L’endura a beaucoup servi – et sert encore – à présenter le catharisme comme une doctrine antisociale, immorale et dangereuse. »
Des « rapports de la partie adverse », (Bernard Gui, Rainier Sacconi ou encore Anselme d’Alexandrie) ont accentué à souhait une pratique quotidienne destinée à infliger au corps « temple de l’Esprit » des châtiments et peines diverses, lesquels sont davantage dans la logique « grégorienne » que dans la pensée cathare. Même si le corps charnel n’accède pas tel quel au spirituel, il est quand même le véhicule, le seul à disposition, pour réussir la « bonne fin » ; et les bonshommes, s’ils ne se souciaient aucunement de leur tunique de peau, ne faisaient rien pour lui infliger des supplices que, de toute façon, la vie terrestre et mondaine se chargeait allègrement de commettre à leur endroit.
C’est dans cet esprit que l’on trouve cet engagement solennel du Parfait au moment du consolament d’ordination, c’est-à-dire le sacrement suprême : « Promettez-vous que, désormais, vous ne mangerez ni viande, ni oeufs, ni fromages, ni graisses et ne vous nourrirez que de poisson et d’huile, que vous ne mentirez pas, que vous ne jurerez pas, que vous ne livrerez votre corps à aucune luxure, que vous n’irez jamais seul quand vous pourrez avoir un compagnon, que vous ne dormirez jamais sans braies et sans chemise, et que vous n’abandonnerez jamais votre foi par crainte de l’eau, du feu ou de tout autre genre de mort ? »
A côté de cette ascèse destinée aux seuls parfaits, ascèse qui ne devait pas être contraignante mais librement consentie et assumée sans peine, on peut rapprocher cette prière hérétique toute simple du Comte de Foix, citée dans un registre d’Inquisition :
« Senhor Dieus, tot poderos, a vos coman l’arma el cors. Senher, vos me gardatz de pecar et de falhar et de n’autra pecada et de la mieua meteissa, et de fals testimoni, e m’amenatz a bona fin. »
Traduction :
« Seigneur Dieu, tout-puissant, à vous je confie mon âme et mon corps. Seigneur, gardez-moi de pécher et de faillir et du péché d’autrui et du mien aussi, et du faux témoignage, et menez moi à bonne fin. »
Cette prière montre d’une part l’engagement fort du comte de Foix dans la foi cathare, mais aussi que la pensée bogomile vécue au jour le jour accordait foi en un Dieu tout puissant et mettait sur le même plan le corps et l’âme, contrairement aux historiographes du catharisme qui ne voient dans cette spiritualité qu’asservissement et haine du corps, objet de tous les vices. Le comte, l’homme mondain, le puissant, a le souci de sa mort. Il sait qu’il ne peut pas mener une vie de Bonhomme, mais il sait aussi que comme l’ouvrier de la onzième heure,(7) il recevra, le moment venu, le salaire qu’il mérite. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a « aucune différence de valeur » entre le consolament-ordination et le consolament des mourants, aussi, par cette prière s’engage-t-il de fait à demander le consolament, et à vivre l’endura dans les derniers jours de son existence terrestre.
L’endura est donc un terme occitan que les dépositions transcrites en latin n’ont pas traduit, car il n’avait peut-être pas d’équivalent latin, et l’on peut se demander s’il a un équivalent français. Ce terme qui se traduit par privation, endurance – mais aussi par persévérance ou mise à l’épreuve – est ainsi l’ « ascèse » dans tous les sens du terme. Il est bien à rapprocher du trespassament qui est son doublon. Désigner par deux termes différents une même réalité, a contribué, fortuitement ou à dessein, à entretenir l’ambiguïté. Pourtant, l’endura exprime la continuité dans l’effort, le trespassament la durée de l’épreuve.

Trespassement a donné le français « trépas », désormais assimilé à la mort en tant que fin définitive. Or, pour un cathare, (et pour tout vrai chrétien !) trépas ne signifie pas mort, mais passage vers un renouveau, une nouvelle naissance. C’est donc bien à travers l’endura que l’on peut réussir son trépas, et il n’y a pas que les cathares qui l’affirment !(9)
Alors que le suicide, même s’il peut être prémédité, est un acte de désespoir accompli dans l’instant pour mettre fin à une vie terrestre que l’on juge ratée, l’endura était au contraire un acte délibéré, longuement réfléchi, destiné à réussir la dernière partie d’une existence que l’on avait voulue sinon exemplaire, du moins en conformité avec sa conscience.
A ce titre, l’endura était bien une pratique initiatique destinée aux « parfaits », consistant en un jeûne absolu, sans manger et sans boire, pour un trépas de trois jours. Tout comme le consolament auquel elle fait suite (8), elle confère la qualité de Bon Chrétien, car l’Esprit est venu en lui. Qu’il lui consacre sa vie dans le cas de « l’ordonné » ou sa mort dans le cas du moribond, le récipiendaire, dépositaire de l’Esprit, devient Chrétien à ce moment-là et à ce moment seulement.(10)
L’endura peut ainsi représenter une épreuve de début d’initiation (l’homme nouveau recevait un autre nom de baptême) et/ou de recours ultime lorsque la fin ici-bas était proche et reconnue telle par le Bonhomme lui-même. A noter enfin que l’occitan peut curieusement employer le mot « endurador » pour traduire le français « éternel », ce qui ne peut que conforter ce point de vue.

Notes :

1) Observance, par le malade ayant reçu le consolamentum, de la règle de Justice et de Vérité.

(2) J. Duvernoy rapporte que selon la déposition de Pierre de Flairan, Pierre Barthe, Parfait, mort chez le croyant Pierre Cathala a été enterré dans une gravière près du château de Mirepoix, (in « le dossier de Montségur ») mais il s’agit selon toute vraisemblance d’une mort « accidentelle », il est inconcevable qu’un parfait soit venu mourir délibérément dans la maison d’un croyant.

(3) En rapport avec le trespassament, l’occitan utilise pour « trépassé », le mot trespassat bien sûr, mais aussi le mot « caunit » qui dérive du mot « cauna » signifiant « grotte ». Cette pratique d’ensevelissement venue des premiers chrétiens (et même avant !) aurait-elle fait souche dans nos régions pyrénéennes ?

(4) Inquisiteur, auteur du Tractatus de Haereticis vers 1270.

(5) in Commentaire de l’Evangile, page 264 et suivantes.

(6) Philosophe catholique, auteur de Être et Don; Simone Weil et la philosophie, 2003


(7)
 Matthieu XX, versets 1 à 16.

(8) Endura et Consolament sont indissociables; Dans le cas du Consolament-ordination, l’endura se pratique avant le sacrement en gage d’inflexibilité dans la Foi alors que pour le Consolament de fin de vie, le trespassament s’effectue après le sacrement pour éviter au récipiendiaire une rechute dans le “monde”.

(9)  “Je pense que dans les trois jours que Paul passe sans manger, dans une prière continuelle, il faut voir une règle de conduite donnée à ceux qui, venant de renoncer au siècle, ne respirent pas encore dans les consolations du ciel. Ils doivent aussi attendre le Seigneur en toute patience, prier sans relâche, chercher, demander et frapper, et leur Père des cieux finira par les exaucer en un temps opportun. Il ne les oubliera point pour toujours, il viendra à eux et y viendra même sans trop tarder. Si vous êtes avec le Seigneur plein de bonté et de miséricorde, pendant trois jours entiers, sans manger, vous pouvez être sûrs qu’il ne vous renverra point à jeûn. 8. Après cela, Ananie reçoit l’ordre d’imposer les mains à Saul : mais il ne s’y prête point sans résistance, car il est bien éclairé. Remarquez que c’est la conduite que plus tard saint Paul lui-même recommande de suivre à l’un de ses disciples, en lui disant : « N’imposez pas trop vite les mains à personne (I Tim. V, 22). » Il vit, dit notre Évangéliste, (a) un homme qui lui imposa les mains, pour lui faire recouvrer la vue (Act, IX, 12). » Or, mes frères, bien que Paul eût eu cette vision, il ne recouvra point encore pour cela la vue. Pensez-vous qu’il n’attendit point que Ananie vînt lui imposer les mains, parce qu’il ne connut peut-être qu’en songe qu’il devait venir? Si je vous fais cette réflexion, mes frères, c’est parce que je crains qu’il n’y en ait parmi vous qui se noient éclairés, bien qu’ils ne l’aient encore été qu’en songe, et qui, au lieu de permettre qu’on les conduise par la main, se posent en guides pour les autres, car lorsqu’on n’a point encore reçu la charge d’administrer les choses, quand on n’est pas encore établi pour en être le dispensateur, enfin lorsqu’on n’a pas encore reçu l’ordre de voir et de prévoir, pour ceux qui, bien que ayant les yeux ouverts, ne voient rien, osent présumer de leurs forces, dans de pareilles entreprises, c’est avoir l’esprit rempli de pensées vaines, et se nourrir de vains songes. Gardons-nous de ce défaut,. mes frères, autant qu’il dépendra de nous; préférons être sans honneur, et conduits par la main, à l’école de l’humble et doux Jésus, Notre-Seigneur, à qui est l’honneur et la gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.” extrait du sermon de Saint Bernard de Clairvaux pour la conversion de Saint Paul.

(10) Il est intéressant de noter que le dimanche 13 mars 1244, à Montségur, vingt-et-un croyants demandent à être consolés. Sachant que leur bûcher était prévu pour le mercredi 16, leur période d’endura a bien été de trois jours “francs”, pardonnez ce mauvais jeu de mots!