Rencontre avec le troubadour Peire Cardenal

Peire Cardenal et le Trobar Clus

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Les troubadours qui vivaient à l’époque et dans les endroits où le catharisme était en plein essor ont longtemps été considérés comme des amuseurs publics, des jongleurs et des gratteurs de vielle.

Cette réputation est aujourd’hui contredite par l’ensemble des historiographes qui se sont penchés avec sérieux sur le contenu des textes de ces merveilleux conteurs.

Mais peu encore estiment que le langage poétique des troubadours peut exprimer autre chose que cet amour courtois, platonique que le soupirant chantait à sa dulcinée sous le regard bienveillant du seigneur du lieu. Il s’agit là d’images d’Epinal, genre de poudre aux yeux que l’Histoire nous jette à la figure comme confetti un jour de Carnaval.

Si l’on creuse un peu le sujet, on s’aperçoit rapidement que l’occitan “trobar” a un sens très fort et au moyen âge plus encore qu’aujourd’hui. Le “trobador” c’est celui qui n’a plus besoin de chercher, il n’est plus en quête, il a atteint la Sagesse mais une sagesse laïque. C’est à ce titre que les troubadours sont souvent les sages conseillers des comtes et seigneurs, occitans ou autres, dès lors que lesdits seigneurs sont assez sages eux-mêmes pour les accueillir à leur table.

Le troubadour est un érudit qui n’a que faire des honneurs et des richesses. Il a choisi de vivre non pour posséder mais pour enseigner grâce à ses “contes” à un auditoire qui retiendra, en fonction de ses propres capacités, tout ou partie de son enseignement.

Car cet enseignement est à plusieurs niveaux, c’est pour cela que l’on a parlé du “trobar clus”, le savoir hermétique.

Peire Cardenal peut être considéré comme expert dans l’art de manier le “trobar clus”,

On trouve sur Internet de nombreuses références à ses textes et à sa biographie; le plus complet est à notre avis celui-ci :

Pour servir d’exemple à notre démonstration, nous y avons puisé ce texte que nous reproduisons in extenso :

Domna que va ves Valénsa (Cobla )- vers 1204 -( Couplet )

Domna que va ves Valénsa
Deu enan passar Gardón;
E deu tener per Verdón
Si vol intrar en Proénsa.
E si vol passar la mar
Pren un tal guvernadór
Que sapcha la Mar majór,
Que la guarde de varar
Si vol tener vas lo Far.
Une dame qui va vers Valence
doit auparavant passer le Gardon ;
et elle doit aller vers le Verdon
si elle veut entrer en Provence.
Et si elle veut traverser la mer,
elle prendra un pilote
qui connaisse bien la grande mer
ce qui la préservera de s’échouer
si elle veut aller vers le Phare.

ou plutôt :

Une dame qui veut s’élever en valeur
doit avant tout dépasser toute mesquinerie
et suivre la voie de la générosité
si elle veut progresser en excellence.
Et si elle veut s’abandonner à l’amour
elle prendra un guide qui connaisse bien le grand amour
ce qui lui évitera d’échouer
dans son périple vers le lumineux bonheur.

NOTES: Un itinéraire géographique correct cache un itinéraire allégorique tout aussi convenable grâce à six jeux de mots (totalement transparents pour les auditeurs occitans du XIIIe siècle).
Le guide conseillé pour ce voyage est évidemment le troubadour lui-même, amant sincère et initié.

FIN DE CITATION

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C’est en effet remarquable, mais il semblerait que l’itinéraire allégorique véritable ait lui aussi été complètement transparent pour les “simples auditeurs” du XXIème siècle, ce que par contre les “Croyants” de toutes les époques peuvent facilement comprendre!

Pour cela il faut “entendre” que la “Domna” n’est pas une simple dame même avec un D majuscule! Il s’agit comme souvent de l’Ame humaine ou de l’Eglise en tant que siège de l’Esprit.

Dans ces conditions, on comprend mieux qui est le “governador” et le texte ci-dessus prend son véritable sens :

L’Ame qui désire “s’améliorer” (monter dans l’échelle des valeurs)
doit d’abord dépasser son égoïsme ( passer outre ce qu’on garde pour soi
et suivre la voie de la Vérité (ou de la Vertu)
si elle veut trouver la Sagesse Suprême. (définition de la Providence)
Et si elle veut aller au delà de l’Amour
elle doit suivre un guide tel qu’il connaisse l’Agapè (l’Amour Supérieur)
et qu’il lui évite l’errance
si elle a la volonté d’aller droit vers la Lumière.
Cette lumière est symbolisée bien sûr par le phare mais on peut encore interpréter ce Far occitan de façon différente car il signifie “faire” et peut donc être opposé à “dire”.

Autrement dit, le dernier vers peut signifier qu’il faut avoir la volonté de faire le Chemin et non de se contenter de paroles.

Ce poème composé semble-t-il au moment où le catharisme médiéval occitan vivait ses derniers jours de paix est absolument sublime et montre à la fois l’érudition et la profondeur de coeur de son auteur. Il y avait bien une riche civilisation occitane à cette époque, 250 ans avant Villon, près de 4 siècles avant Ronsard.