Le fondement de la foi
Pour les églises judéochrétiennes, la foi se fonde sur la croyance en une personne, le Christ, et sur une révélation écrite, un livre dit « saint » bible ou évangiles, ainsi que sur une doxologie érigée en dogme.
Le docétisme cathare ne faisait pas du Christ l’élément central de la foi, mais un auxiliaire.
Il était pour eux, comme le disait également Marcion, un ange, c’est-à-dire au sens strict du terme Grec, un aggelos, un messager, celui qui annonce.
Il est, pour reprendre l’expression de l’évangile de Jean, un envoyé, un émissaire.
Il ne doit pas être confondu avec le christ judéochrétien de la trinité qui fait de lui l’égal d’un dieu.
Le Christ n’est pas une divinité qu’il faut « croire » et « adorer ». Le Christ en ce sens là n’est pas un dieu, il n’est pas, ni le sujet ni un objet de la « foi » pour reprendre une expression consacrée, mais juste un moyen au service de celle-ci.
C’est juste un annonceur, pas un annoncé ; mais si le christianisme a annoncé le Christ c’est parce qu’il en est justement l’annonceur. C’est à travers lui qu’est annoncé le message, il est une illustration, une figure, une allégorie du propos annoncé.
Le Christ n’a aucune réalité. C’est bien là le cœur du docétisme cathare.
Par suite logique, les évangiles qui nous présentent le Christ ne peuvent être non plus le sujet de la foi, puisqu’ils ont pour but d’annoncer ce Christ annonceur.
D’ailleurs le nom « évangile » contient en filigrane le mot ange ; il est la traduction du Grec aggelon qui appartient à la même racine que l’aggelos vu plus haut. Un aggelos, un messager, annonce un aggelon, un message ou autrement dit, un ange annonce un évangile.
Ce titre d’évangile, à un écrit sur le Christ, nous le devons à Marcion car, avant lui, il était en effet question de « mémoire des apôtres » mais pas d’Évangile (Marcion a puisé son inspiration dans Paul qui parle d’évangile pour designer la proclamation chrétienne).
On doit également à Marcion l’invention d’une bible chrétienne, quand il a collationné l’évangile de Luc avec les épitres de Paul, pour donner aux chrétiens une référence claire de la proclamation chrétienne.
Et c’est par contre-réaction que les judéochrétiens vont, peu après, coller divers écrits chrétiens aux écrits saints du judaïsme.
Par cette contamination, des écrits qui n’étaient pas « Parole de Dieu », vont le devenir. C’est donc par glissement de sens que les évangiles vont devenir l’Évangile, c’est-à-dire la « Parole de Dieu » sur laquelle tout doit se fonder.
Là encore l’auxiliaire est devenu sujet sacré alors qu’il ne l’était pas du tout à l’origine ; ce n’était que des écrits d’hommes sans autre prétention.
À ces deux tares, un Christ comme nouvelle divinité à adorer et une nouvelle Parole de Dieu à suivre et obéir, va s’ajouter une troisième, inséparable des deux autres, les dogmes qui en découlent.
Ainsi le « bon chrétien » va se définir selon sa croyance. Être chrétien c’est avant tout l’adhésion à un credo, une confession de foi, c’est croire à des choses. Rien de tel chez les cathares, leur liturgie ne contient aucun confiteor, aucune confession de foi.
Alors si la spiritualité cathare, la foi chrétienne par excellence, ne peut se fonder ni sur un christ, ni sur un texte dit saint, ni sur un type de croyance : sur quoi se fonde-t-elle ?
Elle se fonde sur l’Esprit.
Car c’est bien lui qu’annonce le Christ à ses disciples : « Quand le paraclet sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité » (Jean 16:13).
Le Christ annonce l’homme spirituel : celui qui vivra selon l’Esprit et non selon les pulsions et passions de sa chair. Et cet homme spirituel est comme ce parallèle que fait le Christ entre le vent et l’Esprit : « Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit » (Jean 3:8).
L’homme spirituel n’a ni fondation ni aboutissant, il passe. Il chemine, il n’est donc pas figé, fixé car il est sans cesse en mouvement, ce qui l’anime est le Beau, le Bon et le Vrai. Et ce Beau, ce Bon et ce Vrai ne se puisent pas, ni dans un christ, ni dans une bible, ni dans une doctrine, ils se puisent dans l’Esprit.
Le fondement de la foi c’est donc ces hommes et ces femmes qui vivent selon l’Esprit, c’est-à-dire en langage chrétien, l’Église.
Non l’Église-institution mais, l’Église vivante, communauté humaine.
C’est pourquoi la validité de l’Église repose entièrement sur les hommes qui la composent.
Les fruits de l’Esprit ne peuvent mentir : Chrétiens dignes = Églises dignes et chrétiens indignes = Églises indignes. Tout repose donc sur le chrétien, ce que Paul appelle le « teleios », c’est-à-dire celui qui est « parfait ».
Parfait non dans chacun de ses actes, nul ne peut l’être comme le disait fort bien Paul : « je suis charnel, vendu au péché » (Romains 7 :14) mais parfait dans son engagement sur la voie de l’Esprit. Engagement qui se traduit par une rupture avec une ancienne façon de vivre, ce que les cathares médiévaux appelaient « la règle de justice et de vérité » quand ils s’engageaient, entre autres, à ne plus mentir, posséder et tuer.
Elle est là la voie de la perfection de l’Esprit, cette « porte étroite » de la parabole du Christ qui s’oppose à la voie large où se ruent les hommes (Matthieu 7 :13).
Ainsi, c’est à son engagement de vie que l’on reconnaît le vrai et bon chrétien, il est la manifestation, le réceptacle de l’Esprit.
C’est pourquoi, les cathares médiévaux usaient entre-eux de cet élément liturgique quotidien, le melhiorer. C’était la reconnaissance mutuelle de l’état de chrétien.