Eglise primitive chrétienne
Quand Paul regroupe les premiers auditeurs de son évangile, il donne à ces nouvelles communautés, immédiatement rassemblées et distinctes de l’assemblée synagogale, le nom grec d’ekklêsia (ἐκκλησία) c’est-à-dire Église. Cependant, ces Églises primitives peuvent-elles soutenir la comparaison avec la notion d’Église telle qu’elle est conçue aujourd’hui ?
Tout d’abord, revoyons l’étymologie du mot Église. Elle est la déformation phonétique, latine puis française, du grec ekklêsia qui peut correspondre à notre mot “assemblée”. Ce terme a été inventé par les Grecs, sur la racine du verbe kaleô qui signifie appeler ou convoquer, car l’ekklêsia chez les Grecs désignait une institution démocratique inventée par Athènes : l’assemblée des hommes libres, convoqués sur la Pnyx, pour voter les lois de la cité. L’ekklêsia était en quelque sorte l’équivalent de notre parlement. Ce modèle s’est répandu par la suite dans les cités du monde hellénistique. L’ekklêsia désignait tout simplement l’assemblée politique (du grec polis, cité) des citoyens d’une ville.
Ce terme, le judaïsme hellénistique va le reprendre à son compte par analogie dans sa traduction grecque de la bible, baptisée Septante, pour designer le “jour du rassemblement” (Deutéronome 9 : 10, 10 : 4 ou 18 : 16) quand Moïse impose la loi à ce nouveau peuple ainsi constitué. Ce choix n’est pas fortuit, il est délibéré, car la langue grecque connaît un autre mot pour désigner un rassemblement, un regroupement ou une assemblée sans caractère institutionnel.
L’ekklêsia dans son acception grecque et juive est, apparemment dans les deux cas, en lien avec une convocation en rapport avec la loi et une assemblée constitutive d’un peuple, mais la ressemblance s’arrête là. En fait, la traduction de la Septante fait un terrible contre sens ; elle prévarique le fondement même du mot ekklêsia. L’ekklêsia fut la réponse des athéniens, aux pouvoirs oligarchiques ou religieux qui jusque là imposaient leurs lois, tel un joug, au peuple (demos en grec). L’ekklêsia athénienne fut la mise à bas des souverains car c’est le peuple qui le devenait. Avec l’ekklêsia, le sujet devenait un citoyen libre qui choisissait en toute liberté, démocratiquement, les lois et les autorités qu’il voulait bien se donner. La loi édictée par l’ekklêsia était l’expression d’une liberté et non d’une servitude imposée d’autorité par un puissant, ou en extrapolant d’un “Tout-Puissant” pour faire le parallèle avec le dieu de la torah. À l’inverse, ce dernier impose sa loi et ses gouvernants et le peuple n’a rien à y redire ; il doit obéir et se soumettre, et gare à celui qui dévie, la peine capitale le guette.
Mais revenons au christianisme, pour apprécier le lien avec ce qui vient d’être expliqué.
La tradition ecclésiale judéo-chrétienne, attribue à Jésus le fondement de l’Église. Cependant les travaux des exégètes ont mis en doute cette pieuse revendication. D’ailleurs le mot n’apparaît qu’à trois reprises dans deux versets de l’évangile dit de Matthieu (16 : 18 et 17 : 18). Mots qui furent sans nul doute interpolés après-coup et l’un des versets où le mot apparaît a été manifestement trafiqué. Il s’agit de la fameuse déclaration de Jésus qui fait de Pierre, la pierre sur laquelle l’Église sera fondée. Déclaration d’importance qui aurait dû être relayée par tous les autres témoignages évangéliques, mais qui demeure totalement isolée et qui se trouve même contredite par les données historiques. En tous cas, déclaration qui a permis de légitimer, comme par hasard, l’autorité de la papauté romaine… Mais cela nous l’avons déjà vu [1].
D’un point de vue purement chronologique des sources, le mot Église, ekklêsia donc, apparait sous le calame de Paul, dans ses lettres, qui sont, il ne faut pas l’oublier, les plus vieux témoignages chrétiens en notre possession. Les évangiles sont un peu plus tardifs. Vu l’abondance de l’emploi du mot Église par Paul et vu l’absence de ce mot dans les évangiles (sauf l’exception matthéenne susmentionnée), nous pouvons en déduire que le mot ne provient pas de la lignée des disciples de Jésus mais de Paul. Ce terme, probablement choisi par Paul, est habile parce qu’il s’inscrit dans la culture des gens auxquels il s’adresse : l’hellénisme et le judaïsme de la diaspora, diaspora qu’il tente de convaincre en même temps que les païens. Paul argumente que l’Église qu’il fonde, est la nouvelle constitution, le nouveau rassemblement (ekklêsia) des fidèles de Dieu en l’inscrivant dans l’espérance messianique censée tout renouveler. Il joue sur le mot ekklêsia de la Septante comme nous l’avons vu, qui marque le jour historique et fondateur d’Israël. Il joue également avec le mot Israël qui désigne dans sa bouche le peuple appelé (ekklêsia) par le Dieu annoncé par le Christ, mais qui n’est plus le peuple rassemblé (ekklêsia) par Moïse, asservi à la loi, et dont la circoncision marque le servage. Paul d’ailleurs n’aura de cesse de révoquer les deux rites fondateurs du judaïsme : la pâque remplacée par la cène et la circoncision remplacée par le baptême de l’Esprit, qui, comme l’écrit Paul, “consiste dans le dépouillement du corps de la chair” (Colossiens 2 : 11).
Quant à la loi de l’ekklêsia de Paul, – car, comme nous l’avons vu, il ne peut y avoir d’ekklêsia sans un rapport avec une loi constitutive d’un peuple – elle n’est pas, pour reprendre ses propres paroles, “la loi de Moïse” (I Corinthiens 9 : 9), mais “la loi de Christ” (I Corinthiens 9 : 21 et Galates 6 : 2).
Par un même mot ” loi “, Paul oppose deux lois : la loi mosaïque qui s’impose d’autorité à tous et la loi d’amour qui naît dans la conscience. C’est pourquoi Paul explique que tous les hommes ont une “loi inscrite dans leurs cœurs, comme en témoignent leurs consciences et leurs pensées qui les accusent ou les disculpe” (Romains 2 : 15) [2].
La “loi est spirituelle” (Romains 7 : 14), elle est “la loi de mon entendement” (Romains 7 : 23) affirme Paul. C’est la loi de “l’entendement du Bien”, comme le disait les cathares.
La “loi”, image rhétorique utilisée par Paul, n’est rien d’autre que l’amour comme il l’explique aux Romains : “L’amour ne fait point de mal au prochain : l’amour est donc l’accomplissement de la loi” (Romains 13 : 10). D’ailleurs il ne fait que redire ce que Jésus proclamait : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” (Romains 13 : 9) car, écrit-il, “toute la loi est accomplie dans [cette] seule parole” (Galates 5 : 14). Cette loi d’amour et de bienveillance, les cathares l’appelaient “la règle de justice et de vérité”. Elle rejetait le mensonge et le meurtre (les caractéristiques même du diable de Jean 8 : 44) et toute la chaine du mal qui relie ce qui est communément considéré comme le plus petit des péchés au plus grand.
En ce qui concerne la loi de la torah, Paul est très clair : “Christ est la fin de la loi” (Romains 10 : 14) et : “Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances” (Éphésiens 2 : 15) [3]. C’est pourquoi il explique dans une autre lettre : “Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes point sous la loi” (Galates 5 : 18).
Concluons cette digression, par cette belle formulation duelle, qui ne peut laisser planer aucun doute sur la nature et l’origine des deux lois que Paul oppose : “la loi de l’Esprit de vie en Jésus Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort” (Romains 8 : 2).
Bref, nous nous tromperions, si nous limitions la fondation des Églises par Paul, aux seuls arguments habiles, pour ne pas dire sophistiques, des idées et des termes employés. En fondant des Églises, Paul opère la séparation physique des croyants de l’Évangile d’avec le judaïsme (II Corinthiens 6 : 14-18). Il a pour but de les séparer de la synagogue. Ce qui n’était pas apparemment l’intention et le cas de la communauté des disciples à Jérusalem ; sous la direction de Jacques “le frère du seigneur” (et non le disciple homonyme), elle demeure rattachée au temple. Les Actes des Apôtres soulignent cette fidélité au culte juif : “Ils étaient chaque jour au temple, assidus et unanimes” (Actes 2 : 46).
Si Paul peut être considéré, à juste titre, comme le véritable fondateur de l’Église, cependant les Églises fondées par Paul ne peuvent pas être décalquées sur l’institution Église telle qu’elle va se déployer peu après et telle que nous la connaissons aujourd’hui. Par Église, il est communément entendu la communauté des baptisés sous l’autorité d’une hiérarchie ecclésiale : évêque, prêtre et diacre, dispensateurs de sacrements. Mais si on observe les textes néo-testamentaires, tout cet édifice se trouve sans grand fondement. Laissons de côté la question du baptême que nous avons déjà traitée [4] et reportons-nous directement sur l’Église proprement dite, comment ces premières Églises furent organisées.
Comme nous l’avons vu, l’intérêt premier pour Paul de constituer des hommes et des femmes, sensibles au message évangélique, en assemblée, en communauté de vie, c’est-à-dire en Église, était de les organiser distinctement de la synagogue. Autrement dit de les séparer du judaïsme. D’ailleurs, Paul appelait ces hommes et ces femmes assemblés en Église, des “agioi“, c’est-à-dire des “saints”, ce qui veut dire étymologiquement “consacré à une divinité”. Autrement dit ce qui est à part, ce qui est distinct et séparé du profane. C’est encore une fois très habile, avec le mot “saint”, lieu commun du judaïsme hellénistique, Paul opère la rupture avec ses coreligionnaires sans rompre en apparence avec leur religion. C’est une attitude constante chez Paul : il lui faut parler un langage recevable, audible et admissible pour ne pas heurter, pour que l’Évangile qu’il annonce par ce biais-là ne soit pas rejeté. Paul le dit ouvertement aux Grecs de Corinthe : “Avec les Juifs, j’ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs” (I Corinthiens 9 : 20).
Mais ces premiers hommes et femmes rassemblés en Église étaient, pour beaucoup, loin d’être des saints ou des chrétiens au sens ou nous l’entendons aujourd’hui. C’était simplement des croyants — des croyants au sens très large du terme —. On dirait aujourd’hui des catéchumènes, c’est-à-dire des chrétiens en devenir, des chrétiens en formation ou tout simplement des sympathisants, des auditeurs assidus. Rares étaient les teleioi, c’est-à-dire les Parfaits ou autrement dit les croyants parachevés. Ceux-là même que les cathares appelleront du seul nom de chrétien. Mais à l’origine tel n’était pas le cas, le terme chrétien ne provenait pas de ces premiers disciples de l’Évangile, mais du peuple gréco-romains qui les stigmatisait sous ce vocable-ci. Appellation que les disciples de l’Évangile reprendront à leur compte très rapidement et qui désignera par la suite le baptisé proprement dit.
Au début donc, le terme de chrétien ou de saint désignait l’ensemble des membres d’un rassemblement communautaire – l’Église – autour de l’Évangile professé par des apostoloi, autrement dit des envoyés, des missionnaires, dirions-nous aujourd’hui. Apôtres qui eux étaient des teleioi, c’est-à-dire des Parfaits dans la connaissance de l’Évangile, autrement dit des porteurs de l’Esprit saint. Ces apôtres, essaimaient du cercle des disciples de Jésus, ils baptisaient dans l’Esprit saint par imposition des mains et ordonnaient les apôtres – les mandatés pour annoncer l’Évangile – de la même manière. Et une fois que ces apôtres constituaient un noyau autour d’eux, ils l’organisaient immédiatement en une communauté de vie, c’est-à-dire en Église, et nommaient un episkopos, nom grec qui donnera évêque en latin. Cet episkopos qui veut dire littéralement observer (skopô) sur (epi) avait, comme son nom l’indique, une mission de surveillance. Il était chargé de veiller à la bonne marche de la communauté humaine, l’Église. Mais cet évêque n’était pas, et il faut insister là-dessus, encore un teleios, c’est-à-dire un Parfait ou ce que nous appelons aujourd’hui un chrétien au sens cathare du terme et non judéo-chrétien. Il était tout simplement le croyant le mieux dégrossi et le plus vertueux du lot. Deux épitres donnent la description du profil d’un évêque, ce qui en dit long sur l’état des premiers “saints” ou “chrétiens”:
– ”Il faut donc que l’évêque soit irréprochable, mari d’une seul femme, sobre, modéré, réglé dans sa conduite, hospitalier, propre à l’enseignement” ( I Timothée 3 : 2).
– ”Car il faut que l’évêque soit irréprochable, comme économe de Dieu; qu’il ne soit ni arrogant, ni colère, ni adonné au vin, ni violent, ni porté à un gain déshonnête” (Tite 1 : 7).
On ne peut pas dire que les apôtres avaient le ministère facile, ils devaient peu à peu, avec énormément de persévérance, de courage et de patience, amener les croyants empreints du monde à l’état parfait de vrai chrétien, de “bon chrétien” comme le disait encore les cathares. Mais amener un croyant à devenir Parfait, prend du temps, et dans l’Église primitive, les Parfaits étaient rare, ils étaient une minorité noyé dans une masse de croyants. Les Parfaits étaient si rares qu’ils devaient se multiplier pour tenter de faire front aux besoins. L’exemple de Paul est tout à fait frappant, il ne cesse de courir sur le pourtour de la Méditerranée d’une ville à un autre, d’une Église à l’autre. Paul et ses compagnons font d’ailleurs penser au ministère du Parfait Pèire Authié et de ses compagnons, qui se multipliaient d’un bout à l’autre du comté de Toulouse.
Il n’est pas étonnant, qu’au fil du temps, des Églises avec leurs autorités instituées se soient crues parvenues. Elles se sont crues chrétiennes alors qu’elles ne l’étaient pas encore. Beaucoup ont dû en rester à l’enseignement littéral sans parvenir au fin mot de l’énonciation évangélique. Elles en sont restées au “lait” de la lettre que Paul leur transmettait et qu’il opposait à la “nourriture solide” (I Corinthiens 3 : 2 ). “Nourriture solide” qui n’était prêchée qu’aux Parfaits (I Corinthiens 2 : 6) parce qu’eux seuls pouvaient la supporter, c’est-à-dire l’entendre sans la rejeter. Il ne faut donc jamais perdre de vue que les lettres de Paul que nous lisons sont le “lait” de son enseignement, elles étaient destinées à l’édification des croyants, et non pas des chrétiens proprement dits. Lettres qui furent également remaniées après le schisme marcionite.
L’Évangile est un renversement total de la pensée religieuse. Pensée que les tenants d’une continuité avec le judaïsme ne pouvaient même pas envisager. Au fil du temps cet écart ne va cesser de croître et finira par déboucher sur un renversement : Les croyants et leur institution ecclésiale vont se considérer au fil du temps comme les vrais chrétiens, et les Parfaits, demeurés minoritaires, vont se voir traités d’hérétiques. Les premiers deviendront ce que nous appelons les judéo-chrétiens et les seconds les vrais et bons chrétiens, de l’Église de Marcion à celle des cathares. Au milieu du deuxième siècle, Marcion en prêchant ouvertement ce qui était prêché aux Parfaits, a scandalisé la masse judéo-chrétienne et a opéré le premier schisme de la chrétienté. La suite on la connaît.
On inventa, pour mieux coller au sacerdoce sacrificiel de la torah, la fonction de prêtre à partir du presbuteros de l’Église primitive, qui, en grec, désigne tout simplement les personnes âgés, mais que l’on utilisait dans un sens de personnes sages, autrement dit les “anciens” de nos traductions néo-testamentaires. Mais en aucun cas le presbuteros de l’Église primitive n’était un prêtre, c’est-à-dire un homme consacré au “saint sacrifice” et à la transmission des sacrements. L’ancien était tout simplement un croyant responsable, un conseiller, parce qu’il était reconnu sage dans la foi. La fonction d’ancien de l’Église cathare se situe exactement dans cette lignée là. L’ancien était ce Parfait, suffisamment expérimenté et sûr dans la foi, c’est-à-dire capable de former et d’enseigner, pour encadrer un petit groupe de Parfaits. Du temps de la paix, il était à la tête d’une maison qui regroupait une douzaine de Parfaits. Il est aussi utile de faire le rapprochement avec le texte du bornage des Églises cathares de 1167 où l’on voit les évêques entourés de “leurs conseils”. Ces conseillers qui entouraient l’évêque dans l’organisation de l’Église, c’était précisément la fonction des “anciens” dans l’Église primitive.
Quant aux diacres et même diaconesses (Romains 16 : 1) dans l’Église primitive, c’était tout simplement des personnes dédiées à un service ou à un ministère (diakonia en grec). Dans les Actes des apôtres on les voit œuvrer sous la direction des apôtres et des anciens et dans sa lettre aux Philippiens, Paul associe évêques et diacres dans sa salutation. On peut en déduire que dans les Églises parvenues à l’autonomie, l’autorité des évêques s’est substituée à celle des apôtres. Les diacres devaient œuvrer sous leur direction. On retrouve cette idée chez les cathares, le diacre était au service de ce que l’on peut considérer comme l’ancien par excellence, c’est-à-dire l’évêque. Le diacre n’était probablement pas seulement le représentant de l’évêque dans un secteur géographique donné, mais il devait être aussi celui qui faisait remonter à l’évêque les observations des anciens. Le diacre avait donc bien un ministère : la responsabilité d’un groupe de maisons et un service : la liaison entre l’évêque et les anciens. En tous cas son ministère se caractérisait par le “servici” que les occitans appelaient “aparelhament“, c’est-à-dire la confession mensuelle qui permettait de faire le point et de régler les questions ou les problèmes. Que le “servici”, le service donc, soit étroitement lié rituellement à la fonction de diacre, est tout à fait frappant.
Pour terminer sur cette mise en parallèle de l’Église primitive avec l’Église cathare, il faut se garder d’avoir une vision fortement hiérarchique comme l’entend le judéo-christianisme, mais plutôt une vue fonctionnelle des choses. Nous n’avons pas vraiment ici affaire à des grades, mais à des fonctions. Si dans l’Église romaine, nous avons bien affaire à une hiérarchie qui s’affirme dans les codes vestimentaires, rien ne pouvait distinguer chez les cathares, un Parfait d’un autre, qu’il fût simple chrétien, évêque, diacre ou ancien et leur règle de vie était rigoureusement identique.
En observant donc les sources néo-testamentaires, c’est encore une autre réalité qui se dégage. L’Église fut d’abord un regroupement de croyants. Pour la structurer, lui donner corps, on mit en place quelques indispensables fonctions de gestion, de ressource humaine dirions-nous aujourd’hui. Par glissement naturel au fil du temps, ces Églises vont rapidement se percevoir comme légitimement chrétiennes, alors que leurs membres, y compris les membres encadrants, n’étaient pas tous arrivés à la perfection. Il est assez frappant de constater cet état de méconnaissance la plus élémentaire. Le cas de l’Église de Corinthe est exemplaire, si on peut s’exprimer ainsi. Après le départ de Paul, ses membres confondent le repas fraternel, le pain bénit comme disaient les cathares, avec les orgies dionysiaques ! Pourtant Paul serait resté près de 18 mois auprès d’eux s’il faut en croire les déductions que nous pouvons tirer des Actes des Apôtres. À cela s’ajoute les luttes d’influence d’autres “apôtres” (II Corinthiens 11 : 13) venus prêcher un autre Évangile que celui prêché par Paul (II Corinthiens 11 : 4). “Apôtres” que nous pouvons lier à Pierre, ce Pierre que Paul reprend dans sa lettre aux Galates comme ne marchant “pas droit selon la vérité de l’Évangile” (Galates 2 : 14). Ce Pierre qui voulait forcer les croyants “à judaïser” (Galates 2 : 14). Ce Pierre de la communauté de Jérusalem si assidue au Temple. Ce Pierre que les judéo-chrétiens élèveront comme successeur du Christ mais que le Christ lui-même avait associé à Satan ! (Matthieu 16 : 23, Marc 9 : 33). Ce Pierre enfin, dont le Christ avait annoncé qu’il le renierait (Marc 14 : 30).
Des Églises donc ont connu des évolutions différentes, des inspirations différentes voire antagonistes. De cette tension entre l’apôtre Paul et les apôtres de Jacques, est né le schisme de 144 avec l’anathème de Marcion. À partir de ce moment là deux Églises coexisteront et connaitront des évolutions parallèles. L’une parviendra à survivre à la persécution de l’autre dans quelques lieux retirés des Balkans. Enfin, l’ecclésiologie cathare, démontre combien le catharisme fut en ligne droite de la filiation des première Églises. Le catharisme ne fut pas une banale hérésie mais bien une Église et une Église des origines.
[1] Voir l’article “Église et succession apostolique aux premiers temps du christianisme”.
[2] Traduction de la Pléiade.
[3] Traduction Œcuménique de la bible.
[4] Voir l’article “les deux baptêmes”.