Château et castrum de Montségur

« Un autre sergent, Guillaume de Bouan, interrogé le 2 mai, donne un peu plus de détails » : “J’ai entendu dire par les hérétiques Bernard Guilhem et Bernard d’Auvezines, dans la lice où je montais la garde avec eux, que les hérétiques Amiel Aicart et Hugues (Hugo) avaient été descendus du castrum de Montségur avec une corde, par le précipice, sous le château de Pierre-Roger, pendant la nuit du jour où le castrum fut livré avec les hérétiques en la main du roi et de l’Eglise”.

Récit rapporté par Michel Roquebert qui montre que château et castrum ne sont pas synonymes mais deux constructions bien distinctes !

Donc le castrum qui avait été le lieu de vie et de foi des bonshommes a bien été rasé conformément à la procédure qui voulait que l’on détruise tout bâtiment qui avait servi d’asile aux Parfaits. En revanche, le château de Pierre Roger est bien resté en place, le duc de Lévis étant trop heureux de récupérer pareille forteresse.

Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par Jean Duvernoy qui rapporte dans son ouvrage “le dossier de Montségur” page 24 :

“Après avoir été considéré comme un temple solaire, Montségur est aujourd’hui l’objet d’une nouvelle mode : il ne reste rien du château de Raymond de Péreille que les marches qui s’enfoncent sous le mur. Le château a été rasé et entièrement reconstruit par les Lévis. L’idée est à la fois contraire aux sources (“le château fut rendu au Maréchal…”) et à la vraisemblance.

Montségur est bien un château du XIIéme siècle par son système défensif qui ne fait communiquer le donjon qu’avec le chemin de ronde par une passerelle amovible. Un aménagement postérieur, et à plus forte raison une reconstruction, auraient comporté des tours rondes de flanquements, comme on peut les voir à Puylaurens, Peyrepertuse, Lastours, Puivert etc…

L’obligation de raser toute maison ayant abrité des parfaits fut bien respectée. Les dernières campagnes archéologiques ont dégagé les bases de murs d’un village cathare construit en terrasses sur la face nord du pic sous le donjon.[….] Rien n’autorise à supposer un château initial plus grand dont on voit d’ailleurs mal où auraient reposé les murs. Les marches recouvertes ne seraient un problème que si l’on ignorait que le château de Raymond de Péreille a fait suite à un ouvrage en ruine.

Il y avait en tout cas une raison majeure de reconstruire le donjon : le château n’avait pas de chapelle.”

Cette dernière phrase est particulièrement significative.

Il est évident que Montségur, bâti pour servir de phare à la foi cathare n’avait nul besoin de lieu de culte défini comme tel. Dès la prise de la forteresse les vainqueurs se sont donc employés le plus vite possible à “christianiser” ce symbole diabolique.

Mais ont-ils pour cela démoli et reconstruit le donjon? Ou bien ont-ils réaménagé une salle basse pour la transformer en chapelle? “Bien Malin” qui peut l’affirmer aujourd’hui….

Pour en savoir plus sur le symbolisme de Montségur : A lire absolument le texte d’Yves Maris :

Toujours sur le plan symbolique, nous rapportons ici ce qu’en disait Raymond de Bouisse, co-auteur de la revue ethnographique méridionale dans son article de 1974 :LE NOMBRE ARCHITECTURAL DU CHATEAU DE MONTSÉGUR

“Si l’architecture primitive du château de Montségur a été remaniée, il est difficile de savoir dans quelle mesure et à quelles époques. Etant donné la surface plutôt exiguë et la forme de l’assiette, il ne semble pas que le plan d’ensemble ait pu varier beaucoup au cours des âges. Et si des remparts ont été édifiés ou rebâtis postérieurement à 1244 – ce qui ne paraît pas évident – ils ont dû l’être sur un tracé plus ancien. On ne constate sur le « pog » aucune construction antérieure à l’enceinte actuellement visible, sauf des vestiges de cabanes sans rapport direct avec le château et, à l’intérieur de la forteresse, des restes de murs en gros blocs ayant appartenu, semble-t-il, à des locaux d’habitation aujourd’hui disparus. Les siècles successifs ont pu modifier ou ajouter des détails, changer le style des ouvertures – celui des portes ou des archères, par exemple mais non point altérer profondément l’ordonnance première du donjon et de l’enceinte. Le donjon est peut-être plus ancien que le reste du château.

Au début du XIII` siècle peut-être constituait-il le seul élément fortifié du site, comme le suggérerait l’existence en remploi, dans le bâti des courtines, des débris de bases d’archères provenant certainement d’une de ses façades devenue intérieure et donnant sur la cour.

Mais la reconstruction opérée par les Cathares, entre 1204 et 1210, a dû être totale. En même temps qu’ils restauraient ou reconstruisaient le donjon, ils n’ont pu manquer de le souder étroitement à l’enceinte nouvelle (si tant est qu’elle fût nouvelle), de sorte que tout le monument devait apparaître, au moment du siège de 1244 comme d’une même venue et d’un même style. Et c’est
encore ainsi qu’il se présente aujourd’hui.

Le château, dans son état actuel – ou dans ce qu’il en reste – obéit à un plan d’ensemble évident, et plus harmonieux dans ses dispositions générales qu’on ne le supposerait dès l’abord. On lui a prêté diverses significations religieuses ou magiques. On a voulu faire de Montségur un temple du Soleil, un temple manichéen, un temple du Graal. Je ne m’inscris en faux contre aucune de ces interprétations qui, d’ailleurs ne sont pas de ma compétence. La plus répandue et la plus sérieuse, celle de M. Fernand Niel, qui voit en Montségur une sorte de calendrier zodiacal, a au moins le mérite de mettre en lumière des coïncidences troublantes.

Et il est parfaitement exact, comme l’a établi le premier cet auteur, qu’une de ces directions privilégiées, celle qui marque l’axe sud-nord, a bien été inscrite de propos délibéré dans la pierre, sous la forme d’une cannelure verticale gravée sur les assises de la façade extérieure nord. Je ne m’oppose donc pas à ce que le château de Montségur s’accommode de plusieurs niveaux de symbolique. Mais mon propos est plus modeste. J’ai essayé simplement de retrouver le « nombre d’or » – purement architectural selon lequel son plan a été conçu. Par « nombre d’or » j’entends, assez improprement d’ailleurs, le maximum d’ordre et de symétrie – où, si l’on préfère, de géométrisation compatible, dans un édifice donné, avec la structure du terrain utilisable et la fonction qu’il devait remplir.

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Dans l’Histoire des Albigeois (les ruines de Montségur, 1870, T. III), Napoléon Peyrat fait remarquer que « l’architecte n’a admis dans la construction du château que la ligne droite et la forme rectangulaire. Il en exclut presque absolument la ligne courbe… ». Il n’y a, en effet, à Montségur, aucune tour ronde, aucun rempart circulaire. L’escalier du donjon est logé dans une cavité cylindrique, et est, par conséquent, invisible de l’extérieur. Les deux portes, il est vrai, sont à cintre surbaissé. Mais il eût été difficile, à cette époque-là, de prévoir pour une forteresse, des portes rectangulaires. Quant aux corbeaux, arrondis, ils n’apparaissent que comme des détails négligeables dans le plan d’ensemble.

Dès qu’on a pénétré dans la cour du château, on se trouve dans un vaste pentagone, très irrégulier, et dans un système d’angles qui semble vouloir transmettre à l’imagination un message pythagoricien (ce qui ne veut pas dire que les constructeurs du château aient connu les enseignements de Pythagore, ni qu’ils se soient imposés de les suivre). On est, d’ailleurs, déçu par le caractère désordonné – en. apparence – de cette architecture : le pentagone est faux : il a six côtés !
Je ne crois donc pas devoir m’arrêter à l’opinion de Napoléon Peyrat qui veut que Montségur ait été bâti sur ce plan par imitation de la Cité de Dieu (qui était quadrangulaire); et qu’on y ait proscrit les lignes courbes, parce que les courbes appartiennent au Diable, si l’on en juge par le palais d’Armide (dans le Tasse) qui est circulaire et par le palais de Satan dans le Paradis perdu de Milton, qui l’est également.
Il faudrait bien que les occultistes s’entendissent une fois pour toutes, à propos de Montségur, sur ce qui, en symbolique traditionnelle, est du Diable, et sur ce qui est de Dieu. En fait, dans la seule description imaginaire évidemment – qui nous en soit parvenue, le Temple du Graal est une construction ronde. « Le temple du Graal, dit en effet Albrecht von Scharfenberg, dans le Nouveau Titurel, forme une vaste et haute rotonde divisée en vingt-deux choeurs… chaque choeur forme un saillant vers l’extérieur… » (Traduction H. Corbin). Il est donc aussi vain de se demander si les cathares ont édifié Montségur pour plaire à Dieu ou au Diable – que de vouloir à toute force voir une ressemblance entre ce château et les châteaux légendaires du Graal.

Le plan du château actuel de Montségur présente les caractères objectifs suivants :

  1. Il s’inscrit dans un grand rectangle ADGJ, en partie occupé par les constructions, en partie idéal et vide. Cette figure n’est nullement arbitraire : elle est la seule forme géométrique dans laquelle le château puisse être contenu. Elle passe par tous ses angles. Le grand rectangle ADGJ est « semblable » au petit rectangle ABNM formé par le donjon. La similitude est même atteinte avec une bonne approximation. Les dimensions du grand rectangle mesurés en mm sur le plan1 sont 133 x 58; celles du petit rectangle (donjon) 35 X 15,5. Les rapports entre les côtés des deux rectangles sont:
    grands côtés : – = 3,8 ; petits côtés : – = 3,74..Ajoutons que les deux rectangles – esthétiquement parlant – sont de « bonnes formes.

  2. La diagonale AG du grand rectangle, suivie jusqu’au point oméga par la courtine NF est dans le prolongement exact de la diagonale AN du petit rectangle (donjon). Je ne pense pas que cette particularité soit due au hasard. La diagonale commune assure la solidarité esthétique des deux rectangles.

  3. La courtine NF n’est pas absolument rectiligne 2 .Après avoir épousé le tracé de la diagonale AG jusqu’au point oméga, elle s’y casse selon un angle très ouvert, à peine repérable, qui la remonte légèrement vers le nord. Le but recherché par les architectes était, vraisemblablement, d’élargir la surface nord-est du château, qui, sans cette déviation de la courtine, se serait terminée en angle aigu. Ils auraient pu, il est vrai, lui donner une direction rectiligne de N à F – le terrain ne s’y opposait pas – mais dans ce cas, la courtine n’aurait pas été dans le prolongement de la diagonale du donjon et la symétrie « rectangulaire » du plan en eût été légèrement faussée. Sans aucun doute, les architectes ont voulu que la forme idéale du château fût un rectangle semblable au donjon et qu’il eût pour axe la diagonale AG.

  4. Non seulement la cassure de la courtine au point oméga ne compromet pas l’harmonie géométrique du monument mais elle contribue à l’établir (le côté DG du grand rectangle passe nécessairement par le point F) .
    Compte tenu de ce qu’il fallait élargir le château vers le nord-est, on ne pouvait pas trouver à ce problème solution plus élégante ni plus simple. Notons encore que l’angle de cassure étant peu prononcé, le changement de direction du mur n’est visible ni de l’extérieur ni de l’intérieur. On a l’impression d’avoir affaire à un mur rectiligne. L’irrégularité a été camouflée.

  5. Au point oméga se croisent les diagonales DJ et AG et, naturellement, les médianes du rectangle ABGJ. Ce point privilégié, oméga, est situé sur une ligne idéale (verticale) à laquelle correspond la fine cannelure qui court – verticalement – sur la façade extérieure nord, et qui est encore visible aujourd’hui 3 .
    La droite qui joint le point K au point oméga donne exactement la direction sud-nord et coupe la cannelure marquant la cassure de la courtine NF.

  6. Le point oméga est exactement au milieu de la figure mi-réelle, miidéale ADGJ ; et très concrètement, au milieu de sa plus grande dimension : AG. Le grand rectangle est donc divisé trois fois en trois parties égales : 
    a) par la ligne sud-nord (K, oméga), 
    b) par les diagonales AG, DJ, 
    c) par les médianes CI, LE. 
    Le fait que toutes ces droites passent par le point oméga, centre de la figure, empêche de considérer ces divisions comme découlant simplement des propriétés générales des rectangles. Le rectangle idéal de Montségur n’est évidemment spécifié architecturalement que par le croisement de tous ses axes en oméga, lequel point, matérialisé sur la courtine NF, par la cannelure qui en marque verticalement la cassure, donne la clé de tout le système.

  7. L’axe de la porte L (LE) n’est pas au milieu de la courtine MK (sinon de façon très approximative), mais exactement au milieu du côté AJ du grand rectangle. Ce qui montre bien que la symétrie a été établie par rapport au rectangle idéal ADGJ et non pas par rapport à MK ou à AK. Cette droite LE, axe de la porte L, et médiane du grand rectangle, passe elle aussi par le point oméga.

Telles sont les données immédiates de l’architecture du château de Montségur. Cette architecture, avons-nous dit, pourrait être qualifiée de « pythagoricienne », d’abord parce qu’elle obéit à la plus parfaite symétrie (O Theos aei geometrei : Dieu fait partout de la symétrie », Pythagore),

mais aussi et surtout parce qu’elle ne comporte que des rectangles, des angles et des triangles. Naturellement, il est possible, à partir de ces données, de découvrir bien d’autres « correspondances » et de construire sur elles tous les triangles et pentagones réguliers que l’on voudra – et même des « pentagrammes » inscrits dans des cercles. Mais il entrerait peut-être trop d’imagination dans ces figures surajoutées. Ce qui est sûr, c’est que l’édifice réel produit une impression d’ordre géométrique brisé, imparfait qui demande à être réintroduit dans l’ordre idéal parfait qu’il suggère. Or cet ordre idéal sous-entendu existe. Montségur est dissymétrique dans le visible et symétrique dans l’invisible.

Signalons enfin, pour les amateurs de symbolisme mystique que la droite EL et les deux diagonales AG, DJ suggèrent un chrisme construit sur oméga, ou, si l’on préfère une étoile à 6, voire à 8 branches. L’étoile à 6 branches – (ou le chrisme ?) qui donne la clé de toute la géométrie du château – figure sur les méreaux de plomb trouvés dans les ruines de Montségur.”

Aujourd’hui, il n’est plus question de remettre en doute les avancées archéologiques qui ont démontré de façon évidente que le château que l’on aperçoit au sommet du pog est le château rebâti par le seigneur de Lévis bien après 1244! D’ailleurs, c’est la première phrase que l’on entend quand on fait la visite, ou quand les médias font l’historique de Montségur. C’est comme si aucune autre interprétation n’était possible. Et pourtant….

Peut-être que cela vaut mieux ainsi.

1Plan établi par M. Fernand Niel, les Cathares, éditions de Delphes, p. 380

2Le fait a été signalé par MM. Coste et Niel

3Signalée pour la première fois par M. Coste.