Les trois carêmes annuels des Bonhommes
Il n’est pas utile de traiter ici de la nécessité d’une forme d’ascèse pour se mettre en relation avec l’Esprit. Connaître l’Esprit est une chose, agir en Esprit est tout autre, et dans cette démarche, l’ascèse semble incontournable. Voir le sujet fort bien développé sur le forum d’Eric.
Cela dit, pourquoi les Bonshommes s’astreignaient-ils à trois carêmes par an et à des dates bien précises ?
Rappelons que les trois carêmes qu’ils s’imposaient (“auxquels ils étaient conviés”) étaient les suivants :
Le premier, si l’on considère l’année médiévale qui débutait le jour de Pâques, allait de Pentecôte à mi-juillet, c’est le carême après la réception de l’Esprit, c’est donc le carême de la « consolation »(1). Puisque seuls les consolés “étaient astreints” ( « avaient le privilège ») de pratiquer le Carême, il est assez normal que leur première expérience se déroule à cette date.
Celui qui clôturait l’année, le seul qui ait été repris par l’église de Rome avec toutefois beaucoup de désinvolture, était celui qui va du dimanche du Carême au Vendredi Saint, mort de Jésus. Ce carême peut être nommé le carême de la « désolation »(2) puisqu’il aboutit à la Mort de la Parole. La date devait en être très importante, puisque l’on peut y trouver un des motifs qui ont conduit les assiégés de Montségur à solliciter un délai de 15 jours avant de se rendre le 16 mars 1244.
La date de Pâques est véritablement une « invention » de l’Eglise romaine au concile de Nicée, calquée « un peu mais sans trop » sur la Pâque juive. La date de la Pâque juive commémore le Passage de la Mer Rouge qui n’a sûrement rien d’historique, mais la notion de « passage » est à souligner.
Par ailleurs, la date de Pâques se base sur des calculs qui se veulent savants et compliqués (voir ce lien ), et l’on peut sérieusement douter que nos bonshommes cathares se soient fiés aveuglément aux données catholiques pour fixer leur carême pascal alors qu’il leur suffisait d’observer le ciel, à la manière des musulmans pour la fin du ramadan. Cela peut justifier aussi que Montségur ait pu servir d’observatoire astronomique comme plusieurs chercheurs l’ont démontré.
Quant au deuxième carême annuel, il commençait vers mi-novembre pour se terminer au solstice d’hiver.
Il semble curieux a priori que les parfaits cathares aient observé un carême à cette époque de l’année, car la fête de la Nativité n’avait aucune signification pour eux. Il y avait sûrement la nécessité de faire 3 périodes de méditation correspondant à une durée de 1/3 d’année mais ils auraient pu choisir une autre période. La date de la naissance de Sol invictus, le Christ solaire, qui semble avoir été retenue a donc forcément une portée profonde.
On peut dès lors parler du carême de « l’insolation » qui marque la véritable renaissance après la phase germinative.
Il faut donc croire que les bonshommes assimilaient la régénération de la nature à leur propre résurrection, un peu comme il est dit dans l’Evangile : En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. (Jean 12.24) et aussi :
Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. (Jean 12.32)
Ainsi la consolation est l ’infusion pour soi et le partage pour les autres, de la Lumière (toujours symbolisée par le soleil), première étape de la vie du Parfait.
L’insolation est l’entrée de la Lumière à l’intérieur, la prise de conscience pour soi et la diffusion aux autres.
La désolation est la phase d’enténèbrement de soi et de confusion envers les autres, mais d’où la Lumière rejaillira le 3ème jour.
A noter également que les 120 jours de carêmes annuels correspondent à un tiers d’année, à rapprocher du tiers de siècle vécu par Jésus sur la Terre.
A ces 3 carêmes, plus les jeûnes des lundi, mercredi et vendredi de chaque semaine, s’ajoutaient (voir traité contre les hérétiques traduit par Ruben) des jours de jeûnes infligés aux Bonshommes en état de « faute ».
Anselme d’Alexandrie révèle que les cathares appelaient TRÉPASSER la « punition » de 3 jours de jeûne, sans manger et sans boire, prescrite aux « défaillants ».
La traduction du latin “trapassandum” par “trépasser” est non seulement correcte, mais la plus fidèle puisqu’elle signifie soit passer à travers soit passer trois [jours] selon le sens que l’on donne au préfixe tra.
Le mot était inconnu avant le XIIème siècle, il a donné le français trépassement et finalement le mot trépas.
Si le doute est permis pour la traduction du préfixe tra, il ne l’est plus si l’on se réfère à l’occitan, langue parlée par ceux qui pratiquaient ce trepassandum!
En occitan donc, le français trépas se traduit bien par trespas ou trespassament. Il y a donc bien ici la notion de 3 et de passage. On peut même y voir la notion de “passer au niveau 3” c’est à dire de s’élever au dessus du niveau 2 de la dualité.
Chose encore plus curieuse, l’occitan a deux mots pour traduire le français « trépassé ». L’un est trespassat, expliqué plus haut, et l’autre est caunit (formé à partir de caunir = enterrer, de cauna qui signifie grotte).
Les bonshommes, dont certains ont vécu retirés dans les grottes du Sabarthez, ont-ils pu être à l’origine de ce vocable occitan ?
Ou bien est-ce que, de tout temps, les hommes d’esprit ont recherché ces lieux souterrains pour s’y livrer à la méditation ou pour en faire leur dernière demeure terrestre ?
Quel est celui qui peut infirmer ou affirmer, s’il n’a pas tenté l’expérience, que trois jours de retraite sans manger et sans boire au fond d’une grotte ne lui apporteraient pas une autre vision du monde ?
Une chose est sûre, aux yeux des bons chrétiens, le trépas n’est pas la mort mais bien la porte pour une nouvelle vie. L’homme nouveau peut se révéler avant la mort physique.
(1) Cf le texte d’Eric sur http://www.catharisme.eu/forum/viewtopic.php?id=101 déjà cité
(2) idem