Rencontre avec Antonin Gadal
Tarascon-sur-Ariège, ville natale d’Antonin GADAL, porte, comme l’a écrit son ami l’historien L. Fauré – Lacaussade (1), « les traces de la préhistoire la plus reculée et de l’histoire la plus récente : peintures rupestres de Niaux et de Bedeilhac, mobilier des périodes paléolithiques, mésolithiques et néolithiques dans toutes nos cavernes ; enfin des vestiges d’époque romaine, de l’invasion des Vandales, des Wisigoths, et des Sarrasins, des armées Carolingiennes, de l’épopée Albigeoise… ».
Ce patrimoine unique n’est pas resté méconnu grâce au travail passionné d’historiens, de spéléologues, d’écrivains.
Les noms d’Adolphe Garrigou, préfet de l’Ariège, de Christian Bernadac, romancier et journaliste de T.V., de spéléologues renommés comme le Commandant Molard, Joseph Mandement, Charles Boudou, Raoul Perpère, Claude Bourdié ou Michel Cire sont gravés dans toutes les mémoires.
Adolphe Garrigou (1800-1897), naquit avec le 19ème siècle. Républicain convaincu, il était en rapports étroits avec les rédacteurs des journaux démocratiques de l’époque : Pagès de l’Ariège (Le Mouvement), Cartel (Le National), Sarrut (La Tribune), Rode (Le Bon Sens) ou Dupeuty, avec qui il fonda Le Journal du Peuple. De 1842 à 1848, sa plume alerte ne craignit point d’affirmer et de soutenir ses opinions républicaines et l’imposture des Bourbons. La révolution du 24 février 1848 lui permit d’être nommé maire de Tarascon, puis préfet-administrateur du département de l’Ariège. Membre correspondant de l’Académie des Sciences, il se plongea dans la préhistoire et l’histoire régionales, publiant plusieurs essais historiques, tout en continuant à suivre la politique de près, et devint un des meilleurs collaborateurs du journal Le Travailleur de Toulouse. Il devient, en 1870, membre de la Commission Républicaine de la Commune. Ses recherches, qu’il poursuivit toute sa vie, lui apportèrent la certitude d’une tradition paléochrétienne pyrénéenne remontant à Montan et à Priscillien. Les grottes sont au centre de la foi chrétienne : Marie, prêchant dans la grotte de la Balme, Saint Paul et les villes troglodytiques d’Asie….Garrigou était certain de la persistance de cette tradition dans les grottes du Sabarthez. C’est ainsi qu’il chercha pendant un demi-siècle, en sillonnant son pays natal, la trace des derniers cathares.
Christian Bernadac (1937 –2003) a raconté les années de son enfance avec son grand-père, Paul Bernadac, propriétaire d’une pension de famille à Ussat-les-bains. C’était l’époque héroïque des découvreurs des grottes du Sabarthez…Les grottes! Dans les années de l’après guerre, et même pendant l’occupation, avec Claude Bourdié et Michel Cire il écoutait passionnément Joseph Mandement, , et bien sûr Antonin Gadal raconter Lombrives, Sakany, l’Ermite, les Eglises fortifiées de Bouan et d’Ornolac. Dans la Quête du Graal, il écrit : « Il ne me sera jamais possible de me détacher de ces montagnes de mon enfance […]. Ici, en d’autres temps, le souffle est passé. Et celui qui sait le reconnaître dans l’humidité des cavernes, l’ombre des abris sous roche, sur les terrasses aménagées, celui qui sait lire les peintures et les gravures pariétales [..], celui là porte en soi un peu de la richesse de notre monde. Peut-être, parce que cette présence préhistorique et historique habite encore ces massifs de Tarascon-sur-Ariège, d’Ussat, de Niaux, de Quié, de Vicdessos (le Sabarthés). […] L’émerveillement permanent provoque ce « je ne sais quoi » indéfinissable – émotion et fascination – qui prolonge le spectacle. Trouble physique, charnel, mais aussi pour beaucoup, religieux, mystique, parce que l’atavisme des lieux, le « souvenir », resurgit.(2) »
Christian Bernadac devient en 1972 le créateur de Inter 3, le premier journal télévisé d’information de la troisième chaîne de télévision française, puis prend la direction du service des Documentaires télévisés. Il écrit de nombreux livres sur la déportation et les horreurs du régime Nazi. Bernadac critiqua Antonin Gadal au travers d’Otto Rahn, et à cause de ses orientations spirituelles. Mais jamais il ne perdit l’ amour de sa région natale. Toujours, il garda en son cœur les figures aimées de son enfance, Joseph Mandement, ou celui qui lui avait fait découvrir le Sabarthès, le fils spirituel d’Adolphe Garrigou : Antonin Gadal, « Papa Gadal ».
A. Gadal naquit le 15 mars 1877 à Tarascon–sur-Ariège. Sa maison natale dans la vieille ville de Tarascon-sur-Ariège, surplombée par l’ancienne tour du Castella, était toute proche de celle de la famille Garrigou. Mais, à cause de rumeurs et de campagnes de dénigrement, le nom de Gadal reste moins connu que celui de son voisin Garrigou ou de son « fiston » Christian Bernadac.
Encore adolescent, Antonin Gadal discutait souvent avec son voisin Adolphe Garrigou, alors déjà octogénaire. Il lui faisait la lecture, lui rendait de menus services, et allait peu à peu devenir une sorte de secrétaire et de confident du vieil homme, dont il put plus tard retracer la biographie(3). Gadal acquit la certitude qu’une tradition orale s’était maintenue, traversant les siècles, dont Garrigou était devenu le dépositaire. C’est pendant ces rencontres que sa vocation se dessina: il allait devenir le défenseur du catharisme, et, surtout, de la dimension spirituelle, intérieure, de la religion cathare des « bons chrétiens ».
Antonin Gadal, cependant, débuta sa carrière d’instituteur à Provins, non loin de Paris. Il avait rencontré l’écrivain Maurice Magre, qui était monté à Paris en 1898, et il projetait d’écrire avec lui des romans rétablissant la vérité sur la religion cathare. Mais la première guerre mondiale éclata, et Gadal fut appelé, en tant qu’officier, à servir dans un Régiment envoyé au front, dans les tranchées de Verdun.
Gadal fut décoré de la Croix de Guerre et fait Chevalier de la Légion d’Honneur pour la qualité de son commandement et des actions héroïques lors des terribles combats de la guerre des tranchées. Mais il avait été blessé à la gorge et aura dès lors des difficultés à parler trop longuement. Il ne pourra plus exercer son métier d’instituteur à plein temps. Il quitta Provins en 1919 et retourna dans la région qui l’a vu naître, le Sabarthez, s’installant avec son épouse dans une modeste maison à Ussat-les-Bains, non loin des Thermes. Il commença à diffuser des brochures pour faire connaître les richesses archéologiques et historiques de la région, continuant par là la tâche de son maître, Adolphe Garrigou, et organisa des activités touristiques en rapport avec la station thermale d’Ussat-les-bains, dont les eaux sont réputées pour le traitement des maladies nerveuses. Il prit rapidement l’entière responsabilité de l’organisation des saisons thermales et la direction du Syndicat d’Initiative de la Commune d’Ussat, tout en continuant à maintenir de bonnes relations avec Maurice Magre, et en réunissant autour de lui un cercle d’amis sincères.
Il décida d’explorer systématiquement les grottes du Sabarthez, continuant ainsi le travail de son maître Adolphe Garrigou. Pour mener à bien cette entreprise, il fut l’instigateur du Spéléo-club du Haut Sabarthez créé en 1957 dont Michel Cire devint le premier président. Ce club spéléo devait s’illustrer par de magnifiques découvertes notamment le réseau Clastres au coeur de la grotte de Niaux, de renommée mondiale.
A. Gadal emmenait Christian Bernadac, adolescent, dans ses explorations, ainsi que le Commandant Molard, Claude Boulou puis, plus tard, Joseph Mandement, l’ami de Maurice Magre.
En 1946, il publie un ouvrage historique, L’Ariège et les sotiates,(4) où il reprend, en les développant, les recherches d’A. Garrigou. Il y démontre que la contrée des sotiates citée dans les textes romains ne peut être que l’Ariège, que l’oppidum signalé par César ne peut être que la moderne Foix, et que la capitale des Taruskes des Pyrénées ne peut être que Tarascon-sur-ariège.
Président du Syndicat d’Initiative pendant plus de trente ans, Gadal n’aura de cesse de faire connaître les beautés de sa région. Il fit connaître à un large public « l’héritage des Cathares » ou la tradition des Druides, encore visible par les nombreux mégalithes entourant Tarascon, par exemple sur le plateau de Génat.
Il écrit : Le Druidisme nous a laissé des pierres brutes, seules, réunies ou par groupes, en des lieux appelés encore « des cercles druidiques ». Depuis les temps les plus reculés, ces pierres ont eu une signification.
Le menhir ou pierre levée, symbolisait le centre universel, le principe même et générateur, l’unité divine. L’Egypte nous a laissé le Men ou Man, obélisque surmonté du disque solaire. [….]
Le dolmen , horizontal, posé sur deux soutiens verticaux, image des trois personnes divines.
Le cromlech, éternité, limitation circonférentielle de l’univers vivant, partie de « l’œuf cosmique ».
Le rouler, image de l’équilibre universel.
Le labyrinthe, figure le périple de l’âme à travers les cercles d’existence, avec tous les détours(5).
Et, dans L’héritage des cathares : « Le culte Cathare est absolument le culte de l’Eglise Apostolique. Sa simplicité est une preuve qu’il est antérieur à l’amalgame du christianisme et du paganisme, accompli au 4ème siècle. Point de cités saintes, comme Rome, La Mecque, Bénarès. Point de simulacres d’hommes divinisés ; point d’autel, point de sacrifices, point de parfum. Nos temples ? C’est la voûte du ciel, ou un toit quelconque pour s’abriter en cas de pluie. Une pierre plate, dehors ou dans la salle nue, un pupitre revêtu d’un linge de lin pur, pour recevoir l’Evangile de Jean, le volume du bien-aimé. Pas de prédication proprement dite ; simplement une instruction morale, à l’exemple du Sauveur. Homélie, avec l’invocation initiale, confession des péchés, oraison dominicale, bénédiction finale, génuflexions pieuses, composent tout le culte cathare(6).
Ses recherches philosophiques l’ont conduit vers un certain ésotérisme, qui l’ont fait rencontrer des personnalités telles que Francis Rolt-Wheeler, Walter N. Birks, Otto Rahn ou Déodat Roché. Bien que ses liens avec le jeune écrivain allemand Rahn aient profité à ceux qui voulaient critiquer son œuvre et l’amalgamer aux doctrines nazies, il ne fait aucun doute que Antonin Gadal n’a jamais partagé ces idées. Ses contacts avec Otto Rahn n’ont duré qu’un an, de 1931 à 1932. Antonin Gadal n’était certainement pas antisémite puisque, bien au contraire, il a œuvré avec les réseaux de résistants de l’Ariège pendant la deuxième guerre mondiale pour cacher et organiser la fuite de familles juives et de militaires polonais.
Sa quête de la vérité cachée dans la spiritualité cathare l’a conduit à fréquenter Le cercle de Déodat Roché – duquel il s’écartera cependant à cause de « son penchant pour l’anthroposophie » -, René Nelli ou Fanita de Pierrefeu . A la fin de sa vie, il contacta l’ésotériste hollandais Jan Leene, connu sous le nom de plume de Jan Van Rijckenborgh. C’est à la suite de ces contacts que ses textes les plus importants ont été traduits en plusieurs langues et édités.
Sa biographie complète, De Gadal à Galaad, est publiée par l’Association des Amis du Sabarthez.
Notes :
(1) L. Fauré – Lacaussade : Tarascon-sur-Ariège « Le pays des Cavernes », réed. Lacour, 2003
(2) Bernadac, Christian, La quête du Graal, Ed. France Empire, 2e Ed. , 2006
(3) Gadal, Antonin, Papa Garrigou, Patriarche du Sabarthez : Biographie d’Adolphe Garrigou parue dans la revue Les Archives de Montségur
(4) Gadal, Antonin L’ariège et les sotiates, Impr. Foix, 1946
(5) Gadal, Antonin : Le Druidisme, Rozekruis Pers,Haarlem, rééd 1994
(6) Gadal, Antonin : De l’héritage des Cathares, Rozekruis Pers, Haarlem, rééd 1994