Rencontre avec Boèce et ses descendants cathares
Rencontre fortuite avec Boèce et ses descendants chrétiens.
Une amie qui s’est tout particulièrement penchée sur le baptême du Feu sous toutes ses formes, m’invitait il y a quelque temps, à rechercher les motivations qui avaient pu pousser Boèce (480 – 525) à écrire, de sa prison, ce chef d’oeuvre intitulé « de consolatione philosophiae ».
On peut aisément trouver sur wikipedia des informations sur la vie et l’œuvre de Boèce.
Sur sa vie il est écrit notamment :
« Boèce fit ses études à Rome, puis à Athènes. À son retour, il fut élevé trois fois au consulat (en 487, 510 et 511) par Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths . Mais des ennemis trouvèrent le moyen de lui faire perdre la confiance de Théodoric. Des remontrances qu’il adressa à ce dernier, au sujet des exactions des receveurs des deniers publics, furent le prétexte de sa disgrâce. »
C’est clair et concis mais est-ce pour autant l’exacte vérité?
Quand on connait les ruses déployées par Sidoine Apollinaire et la clique catholique, quelques années auparavant, pour mettre à mal l’autorité et la justice instaurées par les Wisigoths, on est en droit de se demander si pareille tentative n’aurait pas pu être menée contre le roi des Ostrogoths. Le défaut majeur et rédhibitoire de ces peuples « barbares » était l’Arianisme, autrement dit un christianisme non catholique romain. De là à aller jusqu’à baptiser un petit roitelet franc salien et fort cruel pour anéantir les Wisigoths, on connaît la suite…
La conspiration contre Théodoric fut bien réelle, mais le roi, sans doute trompé par de mauvais conseillers, condamna Boèce à la prison, croyant à tort ce dernier à l’origine du complot.
Quand on lit ce qu’il est dit de Théodoric, toujours sur wikipédia, on comprend mal qu’il ait pu condamner un homme tel que Boèce, sauf s’il eût le sentiment d’une immense trahison de sa part :
« Théodoric est de foi arienne. Il mena tout au long de son règne une politique de tolérance, assortie d’une stricte séparation des peuples Goths ariens et des Italiens (ou Romains à catholique. Ce n’est qu’à la fin de son règne, qu’en réaction aux persécutions de l’empereur byzantin Justin Ier contre les ariens, que Théodoric rompt avec le pape Jean Ier et en persécute, de son côté, les catholiques.
Théodoric meurt en 526 de la dysenterie. Il laisse derrière lui le souvenir de trente ans de paix pour l’Italie, événement heureux qui ne se répétera pas avant des siècles. Il est enterré à Ravenne, où son tombeau constitue l’un des plus intéressants monuments de la ville (il est couvert d’une énorme coupole monolithe) » source wikipédia.
Sa dysenterie fatale, quelques mois après la mort de Boèce, est un « cadeau des dieux » pour le clergé de Rome!
Quant aux oeuvres de Boèce, outre des traités mathématiques, il écrivit des traités de théologie que l’on a voulu dissimuler sous le voile du catholicisme. Bien qu’il fût canonisé (fête le 23 octobre), ses traités théologiques sont loin d’avoir la rigueur de l’orthodoxie de l’époque.
On a perdu, comme par hasard, son traité sur la géométrie (mais subsistent ça et là, des variantes qui lui sont faussement attribuées!) ainsi qu’un traité sur l’astronomie qui était peut être une traduction de Ptolémée. L’histoire est remplie de ce genre de « pertes », plus simplement appelés autodafés.
On lui attribue de surcroît, un traité sur la foi catholique qui n’est peut être pas de lui. Un tel procédé est malheureusement courant depuis les Évangiles, et sûrement avant, d’ailleurs!
Pour en revenir à « la consolation de la philosophie », ce traité déjà somptueux dans sa langue originale a été remarquablement traduit, en prose aussi bien qu’en vers, par Louis Judicis de Mirandol en 1861. Il existe de nombreuses traductions et commentaires de cet ouvrage, même Thomas d’Aquin s’y est intéressé, comme quoi son interprétation ne devait donc pas « couler de source. »
Pour les internautes désireux d’en savoir davantage sur l’ouvrage et la traduction française, il est possible de le consulter sur Gallica, cela vaut vraiment le déplacement.
Pour preuve, qu’il soit permis de mettre ici une des premières pages du texte, où Boèce, dans sa prison, alors qu’il se lamente sur son sort et en appelle à la Mort, voit apparaître dans sa cellule Celle qui va Tout lui apprendre: la Philosophie.
La lecture de l’ouvrage est semble-t-il incontournable mais quel rapport avec nos cathares?
Par un heureux hasard celui-là, il se trouve que Louis Judicis de Mirandol a noté dans sa préface tous les auteurs qui se sont intéressés avant lui à l’ouvrage de Boèce et il cite en tout premier un auteur anonyme qui aurait écrit un poème sur Boèce vers 850 après JC. Voir ici.
Contrairement à ce pensait de Mirandol, cet auteur n’a pas écrit en français mais en ancien occitan et il s’agirait en fait du premier texte occitan connu.
Le texte dont il est fait mention, reproduit par Raynouard dans son recueil Poésies originales des Troubadours est lui aussi consultable sur Gallica.
Il ne s’agit malheureusement que d’un fragment qui comporte 257 vers et s’arrête brutalement mais il est précieux et pas seulement eu égard au fait qu’il soit le premier texte occitan connu.
C’est un poème « troubadouresque » qui s’inspire fortement de la consolation de la philosophie de Boèce mais n’en est pas la traduction littérale.
Le terme latin « consolatio » avait déjà retenu mon attention et dans le texte original il est bien question de ce baptême du Feu que l’esprit de Lumière transmet au récipiendaire dans sa prison. Peu importe si on l’appelle Esprit Saint ou Dame Philosophie.
Mais il y a plus curieux :
Ce qui est rapporté dans Boèce se retrouve dans le texte occitan mais le texte occitan mentionne des choses qui ne sont pas dans Boèce. Il semble que l’auteur du IXème siècle, connaissant parfaitement la version de Boèce (peut être l’avait-il sous les yeux) ait voulu transmettre un message subliminal par des ajouts aussi précis qu’imperceptibles. Quelles sont ces choses, quels sont ces ajouts?
Si l’on examine les vers 114 à 142 c’est du Boèce « pur jus »; Il est dit, grosso modo, « j’étais puissant, adulé, j’avais des richesses et mes amis me louaient fort de m’attacher à ce dieu qui m’accordait tous ces bienfaits. »
Mais le vers 143 annonce un changement radical de comportement introduit par le mot « pero ».
Pero signifie « pourtant » en français mais se traduit par« mais » en espagnol. Voir ici . Or les vers 142 à 157 ne se retrouvent pas dans Boèce.
La traduction donnée par Raynouard est assez indigeste, le sens est plutôt celui-ci :
« Mais Boèce dément tout à fait les choses susdites.
Non, ce qu’ils en ont dit, cela n’est pas ainsi.
Il n’est pas bon celui qui se tient à une échelle fragile,
qui encore et toujours est en train de chuter,
et qui ne l’étaye pas fermement.
Et quels sont les hommes qui se tiennent à une échelle solide?
Les bons chrétiens qui croient parfaitement
en Dieu le Père, roi tout puissant
et en Jésus qui eut un tel Amour
qu’il nous racheta en douceur par son sang
et l’Esprit Saint qui descend sur les bons hommes
Quoi que le corps fasse, l’âme doit lui enseigner.
Les bons chrétiens qui se tiennent à une telle échelle
ne chuteront jamais quel que soit le tourment. »
Le texte « façon Boèce » reprend tranquillement son cours jusqu’au vers 215.
A partir du vers 215 il est à nouveau question d’échelle ! Voir ici. Suite ici
La traduction de Raynouard en est plus compréhensible.
Chaque échelon de cette fameuse échelle représente une vertu, le barreau le plus élevé étant fait de Don de Soi, de Foi et d’Amour (almosna e fe e caritat) alors que le premier barreau à gravir est fait d’humilité qui combat l’orgueil de l’Ego.
Chacun doit faire sur cette échelle son bonhomme de chemin mais pour atteindre le plus haut, le thêta grec,
le bonhomme, semblable à l’oiseau, a racheté ses fautes, adore en vérité le Père, le Fils et l’Esprit Saint et ne désire aucun honneur de ce monde.
A noter que ce fameux thêta correspond au teth hébreu associé au nombre 9. Le nombre 9 ou 6 “renversé” symbolise la création régénérée par le feu. C’est aussi le chiffre du Féminin (Chair) parvenu à son état de perfection. Il est inscrit comme un trait dans un ovale alors que les phéniciens le représentait comme la croix dans un cercle.
Alors que pi est la mesure du monde, thêta est le point qui tend vers l’Au-delà.
Le texte se poursuit de façon conforme à l’original latin jusqu’au dernier ajout qui clôture ce recueil voir ici.
Une légère différence cependant; alors que dans Le Boèce original, la Dame tient dans sa main droite des livres sans plus de précision, dans le texte anonyme il s’agit d’un seul livre et d’un livre de feu. Ce livre est sensé représenter la justice immanente par opposition à la justice humaine symbolisée par le sceptre qui est tenu dans la main gauche. Par ce feu divin, l’homme mauvais est incendié dit le texte occitan.
Mais le Livre de Feu doit aussi purifier l’homme bon. Le mot latin « liber » signifiant à la fois livre et libre doit conduire à interpréter, par analogie, l’action du Livre de Feu comme le baptême de l’Esprit sur la tête du « consolé » libéré des contingences terrestres.
En revanche, on ne saura jamais ce que l’auteur aurait dit au sujet du sceptre puisqu’il stoppe brusquement son récit au vers 257 sans même écrire en entier le deuxième mot. C’est regrettable, vu la richesse de détails qu’il donne pour décrire son Livre.
Que penser, en définitive, de notre auteur anonyme?
Sans que l’on puisse le considérer comme « hérétique » il se détourne sensiblement de l’orthodoxie romaine. Orthodoxie qui paraît somme toute assez floue avant l’an mil. Ce que l’on peut affirmer toutefois, c’est que notre auteur occitan semble avoir fort bien assimilé d’une part le message transmis par Boèce et d’autre part les vrais objectifs du christianisme. Il annonce indubitablement les troubadours des siècles suivants car il est dans le même « esprit ».