Toute-puissance et libre arbitre

Voilà les deux grandes explications inventées par les théologiens judéo-chrétiens pour s’opposer à la distinction des principes des chrétiens, dits hérétiques.
Face à ces derniers, qui voyaient dans ce dieu créateur et régenteur du monde, ce juge législateur, cet auteur du mal comme du bien, l’exacte définition du diable ; ils durent avoir recours à des concepts capables de justifier ce dieu-là avec le Dieu de bonté révélé en Christ. Il fallait absolument qu’ils légitiment la capacité de leur dieu à faire le mal, comme l’exaltait ce qu’ils considéraient comme Ancien testament, et à la fois, dédouaner dieu de l’existence du mal en accusant l’homme d’en être l’origine. Ils ont opéré le blanchissement de leur dieu en chargeant les hommes de tout le poids de la culpabilité.
Coupable et à la merci de ce dieu-juge, l’homme n’avait plus qu’a se jeter au pied de ce dernier pour implorer sa grâce et se soumettre à sa volonté… transmise et imposée par son Église !
L’idée de toute puissance, avant d’être syllogisme sophistique, était juste la justification que dieu pouvait tout faire, le bien comme le mal, comme c’est dit en toutes lettres dans la Torah : « Je forme la lumière et je crée les ténèbres, je réalise la paix et je crée le mal ; moi, l’Eternel je fais toutes ces choses » (Isaïe 45 : 7).
Ainsi la capacité d’engendrer, sans exclusive, tous les contraires : la lumière comme les ténèbres, la vérité comme le mensonge, la vie comme la mort, autrement dit le bien comme le mal, serait le propre de la toute puissance divine…
Pourtant le rédacteur de la lettre aux Hébreux écrit en toutes lettres : « il est impossible que Dieu mente » (Hébreux 6 : 18). De même le rédacteur de la lettre dite de Tite, affirme que Dieu : « ne peut se renier » (II Tite 2 : 13) c’est à dire ’être inconstant, comme la lettre dite de Jacques l’explique si bien : « tout don excellent et tout cadeau parfait viennent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement, ni ombre de variation » (Jacques 1 : 17).
Alors dans cette impossibilité de Dieu de mentir, de se contredire ou de varier, n’est-ce pas l’antithèse de la toute puissance ? N’est-il pas en réalité, impuissant d’être contraire à lui-même ou plus exactement, tout puissant de ne pas être contraire à lui même ? Comment en effet le principe même de la Lumière, du Bien, de la Vérité ou de la Vie peut-il engendrer ténèbres, mal, mensonge ou mort ?
Comment faut-il alors comprendre cette sentence évangélique : « à Dieu tout est possible » (Matthieu 19 : 26) ? Il nous semble évident que ce tout possible, désigne non l’ensemble des contraires bons ou mauvais, mais uniquement l’ensemble de tout ce qui est Bon.
Les textes évangéliques laissent entendre, en effet, qu’il existe deux ensembles, deux touts, qui ne peuvent pas appartenir à une même origine, à un même principe, comme nous allons le voir.
La lettre dite de Jean, laisse filtrer une révélation essentielle de la révélation chrétienne « Voici le message que nous avons entendu de lui [NDR :Christ] et que nous vous annonçons : Dieu est lumière, il n’y a pas en lui de ténèbres » (I Jean 1 : 5).
De ce verset, nous pouvons en déduire que Jean est dépositaire d’un enseignement complètement inconnu jusqu’ici. Il ne provient pas de la Torah mais de l’enseignement de Jésus à ses disciples. Enseignement que Jean transmet à son tour comme l’axe singulier de la révélation christique.
Quand il écrit que : « Dieu est lumière, il n’y a pas en lui de ténèbres » (I Jean 1 : 5), il explique littéralement que le « Père des lumières » (Jacques 1 : 17) ne peut pas engendrer de ténèbres. Par conséquent, les ténèbres proviennent d’un autre dieu, qui ne peut être différent de celui qui au contraire le revendique, comme nous l’avons vu plus haut : « Je forme la lumière et je crée les ténèbres » (Isaïe 45 : 7).
Le Dieu professé par Jean ne peut se confondre avec celui professé par Isaïe.
Mais cette distinction ne peut s’arrêter là; dans le récit de la conversion de Paul sur le chemin de Damas, le Christ qui se révèle à Paul attribue la lumière à Dieu et les ténèbres à Satan : « qu’ils passent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu » (Actes 26 :18), lui dit-il. Autrement dit, le faiseur de ténèbres, n’est pas un dieu mais un diable.
Ainsi la caractéristique diabolique, sa puissance comme le dit Paul, se manifeste par sa capacité à prétendre au bien autant qu’au mal, alors qu’en réalité ce bien mêlée avec le mal, ne peut être que le mal tout court, car le Bien est indemne du mal.
Ainsi Jean révèle par ce verset « Dieu est lumière, il n’y a pas en lui de ténèbres » (I Jean 1, 5) que le Dieu évangélique est parfaitement Bon et qu’il n’a aucun mal en lui.
Comme nous le comprenons, l’emploi de deux contrastes opposés : Lumière et ténèbres, pose comme absolu, que chacun d’eux ne peuvent provenir, en aucune façon d’une même source, d’une même origine, d’un même principe.
Paul l’a écrit : « quel rapport y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? ou qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres ? » (II Corinthiens 6 : 14). Jacques explique la même chose : « La source fait-elle jaillir par la même ouverture l’eau douce et l’eau amère ? Un figuier, mes frères, peut-il produire des olives, ou une vigne des figues ? De l’eau salée ne peut pas non plus produire de l’eau douce » (Jacques 3 : 11-12). De même le Christ enseigne : « Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits » (Matthieu 7 : 18). Et Paul confirme : « le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité » (Éphésiens 5 : 9). Jean exprime : « Celui qui fait le bien est de Dieu ; celui qui fait le mal n’à point vu Dieu » (III Jean 1 : 11) et à fortiori, ne peux pas être Dieu « Car Dieu ne peut être tenté par le mal » (Jacques 1 : 13). De toutes façons : « Dieu est bienveillant » (I Jean 4, 16) et « La bienveillance ne fait point de mal » (Romains 13 :10).
Il existe donc un ensemble de tout ce qui provient de Dieu, c’est à dire le Bien, et un autre ensemble de tout ce qui provient du diable, qui prétend au bien comme au mal.
Nous pouvons dire que Dieu est tout puissant dans le Bien et que le diable se dit tout puissant dans le mal comme dans le bien.
S’il est commun de penser que faire le bien et le mal est l’archétype de la toute puissance, nous pensons au contraire que c’est en réalité sa négation. Faire le mal n’est pas une puissance, c’est une impuissance. Car le mal est le signe d’une déchéance, d’une chute, d’un esclavage, d’une infirmité, d’une tare.
Seule l’unicité du Bien est vraiment tout puissante en toutes choses, car il est permanent et n’a aucune limite, puisqu’il n’est pas contrarié et mis en bute par un opposé. La bienveillance de Dieu par exemple ne connait aucune limite, elle est infinie et cela Jean l’exprime, il dit que « Dieu est Bienveillant » (I Jean 4 : 8 ) et Paul exhorte à : « connaitre la bienveillance du Christ qui surpasse toute connaissance » (Éphésiens 3 : 19). Jean dit aussi à ce propos : « Il n’y a pas de crainte dans la bienveillance, mais la bienveillance parfaite bannit la crainte, car la crainte implique un châtiment, et celui qui craint n’est point parfait dans la bienveillance » (I Jean 4 :18). Or nous pouvons constater l’exact opposé avec l’exigence du dieu de la Torah : « C’est l’Eternel des armées […] que vous devez craindre, c’est lui que vous devez redouter » (Isaïe 8 : 13).
Croire que Dieu a la capacité de faire le mal et le bien, c’est avoir succombé à la séduction diabolique qui veut nous faire accroire, que faire le mal et le bien est le propre de Dieu, comme on le lit dans le récit de la genèse : « vous serez comme Dieu qui connaît le bien et le mal » (Genèse 3 : 5).
Nous pouvons considérer que l’unicité d’un principe est toute puissante et éternelle parce qu’elle est incapable d’entrer en lutte contre elle-même, alors que la dualité dans un même principe, parce que deux contraintes opposés s’affrontent perpétuellement, ne peut y prétendre. La dualité en un même principe est sans cesse division en elle-même.
C’est pourquoi nous pouvons comprendre que la prédication évangélique laisse entendre que le diable et ses œuvres, ne peuvent subsister dans l’éternité, ils ne peuvent déboucher que sur l’autodestruction. Le Christ l’a très clairement enseigné : « Si donc Satan est divisé contre lui-même, comment son royaume subsistera-t-il » (Luc 11 : 18).
Dans le même fil, Paul dit que « la corruption n’hérite pas l’incorruptibilité » (I Corinthiens 15 : 50).
Le bien et le mal ne sont ni une toute puissance ni non plus la condition d’un libre arbitre.
La capacité d’opter pour le mal n’est jamais le fruit d’une liberté, mais l’annihilation de cette dernière.
L’évangile de Jean, tente de le faire comprendre quand il fait dire au Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave du péché » (Jean 8 : 34). Comme nous pouvons le constater, le mal ou autrement dit le péché, ne rend pas libre mais réduit en esclavage celui qui le commet. C’est pourquoi Paul commande : « Ne rendez à personne le mal pour le mal. Recherchez ce qui est bien devant tout les hommes » (Romains 12 : 17) et « Ne sois pas vaincu par le mal, mais vainqueur du mal par le bien » (Romains 12 : 21). Encore : « Abstenez-vous du mal sous toutes ses formes » (I Thessaloniciens 5 : 22).
Jean comme à son habitude met en lumière le vif du sujet : « Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui, et il ne peut pécher, puisqu’il est né de Dieu. C’est par-là que se manifestent les enfants de Dieu et les enfants du diable » (I Jean 3 : 9-10) et pareillement, comme nous l’avons déjà vu, il dit : « Bien-aimé, n’imite pas le mal, mais le bien. Celui qui fait le bien est de Dieu ; celui qui fait le mal n’a pas vu Dieu » ( III Jean 1 : 11). Jacques nous précise pourquoi : « Dieu ne peut être tenté par le mal et ne tente lui-même personne » (Jacques 1 : 13). Quand au tentateur nous savons qui il est.
Notre véritable liberté est de devenir libre dans le Bien car le Bien nous rend libre de ne plus être soumis au mal, car en effet quoi qu’en disent les supporters du libre arbitre, aucun homme n’a la liberté de ne point commettre le mal. C’est pourquoi Paul déclare : « Ce qui est bon, je le sais, n`habite pas en moi, c`est-à-dire dans ma chair: j’ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien. Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas ». (Romains 7 : 19).
Qui peut être libre du mal ici bas ? Malgré le présupposé libre-arbitre dont un dieu nous aurait gratifié, l’homme n’est pas libre de ne pas pouvoir faire le mal.
En fait l’homme est esclave de ses pulsions et passions. Esclave de ce qu’il est et dans ce quoi il est. Seule sa conscience éclairée, peut l’affranchir de son infernale condition.