Vision “hérétique” du catharisme selon Magali de La Capelle-Bleys
J’ai passé mon adolescence à chercher « quelque chose », tout en étant incapable de mettre un nom sur l’objet même de ma recherche. Et le jour où, pour la première fois, j’ai ouvert un livre sur les Cathares, ce fut comme une révélation… Mais ce ne fut pas une découverte. Sans que je m’explique pourquoi, j’avais la curieuse sensation de lire une histoire que je connaissais déjà dans ses grandes lignes. Cependant, il m’aura fallu près de vingt ans de recherches assidues pour me forger cette vision « hérétique » du catharisme qui est aujourd’hui la mienne. Pourquoi je la qualifie d’hérétique ? Simplement parce que, de mon point de vue, le catharisme – à l’instar du christianisme qui lui a donné naissance – est une religion à Mystères dont les arcanes échappent à la plupart des chercheurs qui s’inscrivent dans la lignée d’une pensée officielle. Et comme le propre d’un hérétique est de ne souscrire à aucune forme de dogmes (qu’ils soient religieux, scientifiques ou historiques), je me suis progressivement détachée des avis autorisés pour mener librement une quête qui, petit à petit, devait bouleverser tout ce que je croyais savoir sur les Revêtus d’Occitanie. Pour autant, je ne prétends nullement détenir la vérité absolue, pas plus que je tiens à imposer ma vision à qui que ce soit. Je souhaite simplement offrir aux lecteurs de ces lignes une occasion de « croiser nos regards », selon le principe que nous avons TOUS à apprendre les uns des autres.
Qu’est-ce qu’un chrétien ?
Suffit-il de croire en Jésus-Christ, en se livrant à des rituels plus ou moins dépourvus de sens, pour être un chrétien ? L’église de Rome prétend que oui. Mais pour tous les « Amis de Dieu » (philotheos), la réponse est NON. Car si Jésus a dit « Je suis le Chemin », il n’est écrit nulle part qu’il avait le pouvoir de l’accomplir pour nous… Initiés aux Mystères du christianisme, les Parfaits Cathares savaient par expérience qu’il faut suivre la Voie du Christ pour devenir un « Bon Chrétien ». Mais cette démarche demande un engagement de la personne qui va bien au-delà d’une simple profession de foi. Pour atteindre son but, le croyant doit entreprendre une véritable métamorphose de tout son être par un travail intérieur que nul ne peut réaliser à sa place. C’est le processus de la Katharsis (Purification), ce terme dérivant du grec Katharos (Pur) d’où vient le mot Cathare (je tiens à souligner au passage que « Cathare » et « Parfait » sont des appellations dont la signification profonde nous fait pénétrer au cœur des mystères de cette religion et, de ce fait, on ne saurait les attribuer à des surnoms moqueurs inventés par leurs ennemis). La Katharsis est donc le passage obligatoire pour accéder à l’état de chrétien, mais ceux qui ne l’ont pas pratiqué eux-mêmes sont condamnés à spéculer indéfiniment sur les effets physiques et spirituels d’une telle démarche. Par contre, il est encore possible de faire jaillir l’Esprit de la Lettre pour répondre à cette épineuse question : qu’est-ce qu’un chrétien « en vérité » ?
L’esprit dans la lettre
« Au commencement était le Verbe », peut-on lire dans le prologue du quatrième évangile, le plus riche d’enseignement aux yeux des Cathares qui étaient Johannistes. Mais la façon de lire les textes est aussi importante que ce qu’ils contiennent, et bien des trésors ont été enfouis au sein des mots pour ceux qui ont des yeux pour voir.
Le grec est – faut-il le rappeler ? – la langue des évangiles et, à l’instar de l’hébreu et de l’arabe, chaque lettre de son alphabet porte un nom qui lui est propre (Alpha, Bêta, Gamma, etc…). En outre, on attribue à chacune d’elles une valeur numérique suivant la progression arithmétique de 1 à 9, de 10 à 90 et de 100 à 900. Il s’agit là du trait caractéristique des alphabets sacrés dans lesquels ont été rédigés les livres des trois grandes religions, ainsi que de nombreux écrits apocryphes qui furent sciemment occultés comme leur nom l’indique, puisque le mot grec Apocryphês signifie « tenu caché » (ce qui n’implique nullement qu’ils soient plus « faux » ou « mensongers » que les textes dits canoniques). Les évangiles de Thomas et de Philippe font partie de ces documents rejetés arbitrairement, malgré la richesse de leur contenu. Et il ne fait aucun doute que, par le biais d’une transmission « de Bonshommes en Bonshommes », ces écrits d’inspiration gnostique aient été parfaitement connus des Cathares, de même que les clés linguistiques leur permettant de lire ces textes au SOMMET de la lettre.
Il faut connaître les règles de la Vraie Science – qui est le sens littéral du mot étymologie (du grec etumos, « vrai », et logos, « science ») – pour accéder aux niveaux de lecture les plus subtils. C’est aussi en utilisant l’art du « double langage » que les troubadours ont pu assurer la transmission des mystères Cathares, sachant qu’ils ne seraient compris que par ceux qui ont des oreilles pour entendre. Ces « chanteurs du secret » (comme ils se surnommaient en Allemagne) employaient les mêmes techniques cabalistiques pour assurer la pérennité d’un savoir qui remonte à la plus haute Antiquité, aux temps où florissaient les nombreux cultes des religions à Mystères dont les plus célèbres étaient dédiés à la déesse du Blé (Déméter) et au dieu du Vin (Dionysos). Et aussi incroyable que cela puisse paraître, les secrets de la Cène sont étroitement liés à ces cultes archaïques qui existaient bien avant la naissance de Jésus.
Les mystères du Pain et du Vin
Pourquoi, lors de son dernier repas, Jésus a comparé son corps à du pain et son sang à du vin ? Quel message ultime a t-il voulu nous transmettre à travers ces symboles ? Commençons par le pain. Comme tout le monde le sait, cet aliment essentiel de notre alimentation se fabrique à partir de trois ingrédients : de la farine de blé, de l’eau et du sel. Quant au levain – le « secret » du pain – on l’obtient naturellement en laissant fermenter la pâte. C’est aussi par l’action des ferments du raisin que le jus de ce fruit devient cette boisson enivrante qui transporte les disciples de Bacchus aux portes de l’extase. Nous constatons ainsi que le point commun entre le Pain et le Vin est la FERMENTATION (mot dérivant du latin fervere, « bouillir ») qui est le symbole de la transformation de la Matière par l’action de son propre feu. En gardant cela à l’esprit, il est plus facile de comprendre pourquoi Jésus a choisi la fameuse parabole du grain de blé (Jean, chapitre 12, Verset 24) pour s’adresser à des auditeurs grecs. D’autant que dans la langue d’Homère, le Blé et le Feu sont désignés par un seul et même mot : Puros (ΠΥΡΟΣ). Et le « hasard » a voulu qu’il se retrouve dans le nom de ces PYRénées qui ont servi de refuge aux fidèles du PUR Amour
Les deux baptêmes
Pour finir, j’aimerais exposer ma conception toute « personnelle » du Consolament ou Baptême de l’Esprit. La plupart des historiens ne voient dans ce sacrement qu’une sorte de « rite de passage » destiné à faire rentrer le croyant Cathare dans la communauté des Parfaits. Beaucoup aussi l’assimilent au Baptême du Feu, en pensant que l’on employait indifféremment les mots « Esprit » ou « Feu » pour faire référence à un seul et même baptême. Mais Jean le Baptiste a précisé en parlant de Jésus : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Luc, Chapitre 3, Verset 16). La question que l’on doit se poser est : pourquoi employer ces deux termes pour parler de la même chose ? D’un point de vue purement sémantique, ce pléonasme semble assez incompréhensible. Par contre, s’il est bien question de DEUX baptêmes – ou plus exactement de la Consolation qui précède le véritable baptême – ces paroles nous dévoilent un grand mystère. Celui-là même qui est évoqué dans le logion 29 de l’évangile de Thomas : « Si la chair est venue à l’existence à cause de l’esprit, c’est une merveille, mais si l’esprit est venu à l’existence à cause du corps, c’est une merveille de merveille ». Ou bien encore dans ce passage de l’évangile de Philippe : « Dans le royaume des cieux les vêtements sont aussi précieux que ceux qui les ont revêtus, car ils ont été plongés dans une eau et un feu qui purifient tout ».
Pour comprendre le sens de ces paraboles, il faut posséder ce que les cathares appelaient « l’entendement du Bien » qui nous permet de « bien entendre » ; autrement dit, cette compréhension du cœur allant de pair avec le développement de nos facultés de perception. Et de la même façon que le baptême de la Pentecôte a ouvert l’esprit des apôtres qui était jusque-là fermé, il est très probable que le Consolament ait eu des effets similaires sur les baptisés qui recevaient l’Esprit par « l’imposition des mains »(1) à l’endroit précis des fontanelles, cette partie de la tête qui symbolise pour les mystiques du monde entier la Porte du Ciel.
Mais l’ouverture de cette « porte » n’est que le premier pas vers cet Accomplissement qui, selon l’évangile de Philippe, « rend l’Homme insaisissable et invisible ». Et le GRAND baptême continuerait d’échapper à notre raison s’il n’avait laissé des traces indélébiles sur un linceul ayant subi une irradiation assez importante pour imprimer dans ses fibres de lin une image en trois dimensions qui reste, à ce jour, inexplicable pour la science.
Telle est ma foi en Jésus-Christ, le « Premier Né », et telle est ma foi en cette humanité qui ressuscitera le jour où elle se consumera d’Amour pour la Lumière des lumières…
(1) Cette pratique, bien connue des kabbalistes sous le nom de Semikha, serait aussi vieille que Moïse, si l’on en croit le livre des Nombres (Chapitre 27, Versets 18-20) où il est écrit : « Fais approcher de toi Josué, fils de Noun, homme animé d’esprit, et impose ta main sur lui »