Que sont les textes chrétiens?
Aujourd’hui les textes dits du « Nouveau Testament » sont perçus comme le contenant de la révélation divine, chrétienne. Mais qu’en est-il exactement ? Que faut-il penser de ces textes?
Contrairement à bien des pensées religieuses, les textes évangéliques ne descendent pas du ciel, à l’opposé du décalogue qui est censé avoir été écrit par le doigt de dieu (Exode 31 :18 et Deutéronome 9 :10).
Les textes chrétiens sont avant toute chose, et revendiqués tels, écritures d’hommes.
C’est pourquoi les intitulés des évangiles ont recours à l’adverbe Grec kata, qui signifie par ou selon, suivi du nom sous lequel l’écrit est placé : Matthieu, Marc, Luc ou Jean. C’est « selon » untel, que les écrits sont donc présentés. Cela indique qu’il n’y a rien d’absolu, les propos présentés appartiennent à untel, c’est tout. Au passage, précisons-le, ces écrits sont pseudépigraphes, ils ne sont pas du calame des personnes invoqués.
La préface de l’évangile de Luc est encore plus explicite, le rédacteur laisse entendre que c’est en triant dans le fond des récits de son temps, qu’il a composé son évangile (voir Luc 1 :1-4). Ce témoignage illustre parfaitement comment les évangiles se sont constitués. Ils sont le résultat d’écritures et de réécritures.
Au IIe siècle, Celse, savant philosophe grec qui avait enquêté minutieusement sur le christianisme, disait qu’il était de toute notoriété que les chrétiens avaient remanié à leur guise, trois ou quatre fois et plus encore, le texte primitif de l’Évangile, afin de réfuter ce qu’on leur objectait.
Les exégètes modernes confirment l’érudit antique, ils discernent dans les textes les strates rédactionnelles.
Ils savent que les évangiles synoptiques, sont tous tirés d’une source écrite commune, aujourd’hui perdue. Ce sont les rajouts et modifications à ce texte premier qui ont donné les trois évangiles du canon.
Quant à l’évangile de Jean, ils y discernent l’œuvre de plusieurs mains.
Les épîtres de Paul ont été tout autant l’objet de manipulation, les deux épîtres aux corinthiens par exemple trahissent un assemblage composite de plusieurs lettres.
En ce qui concerne l’Apocalypse de Jean, la chrétienté grecque le tiendra longtemps comme un écrit inauthentique et ne le retiendra pas dans son canon avant le Xe siècle.
Par ailleurs quand Jérôme fixe au IVe siècle le canon Latin, un de ses coreligionnaires, Ruffin d’Aquilée, le traitera de faussaire pire que les hérétiques.
Bref, il faut bien avoir à l’esprit que les textes canoniques que nous avons sous les yeux aujourd’hui, sont textuellement peu sûrs et que le choix de ces dits textes sont le fruit de l’arbitraire d’un courant ecclésial qui s’est imposé contre d’autres, soit en les assimilant, soit en les éradiquant.
Les évangiles ne sont pas le témoignage de ce qu’ils sont censés apporter, c’est-à-dire le témoignage d’un Évangile originel, même s’ils en contiennent sans doute des traces.
Ils sont plus exactement une succession de pensées entremêlées de conceptions postérieures. La subtilité à comprendre, c’est que les textes évangéliques ne rapportent pas à la lettre ce qui s’est passé ou écrit à un moment donné de l’histoire qu’ils sont censés raconter. Ils n’ont cessé d’être modifiés pour répondre aux préoccupations et réalités de leur temps. Les textes évangéliques visent toujours un public pour lequel on adapte et ajuste le discours. C’est pourquoi les chrétiens n’ont cessé de remanier les textes avant que la tradition ne les fixe définitivement pour les faire devenir par glissement de sens, des textes sacrés de références.
Le génie des évangélistes, c’est d’avoir su que leurs écrits étaient le fruit de leur inspiration, que ce Christ qu’ils annonçaient, n’appartenait pas au passé, mais qu’il était vivant en ce sens que ce Christ devait être parlant à leurs contemporains. Ce n’était pas tant le Christ qu’ils prêchaient, mais ce qu’ils voulaient dire à travers lui.
Paul le savait, le Christ n’était rien d’autre que « l’icône du Dieu invisible » (Colossiens 1 :15). Autrement dit le Christ était le support, l’illustration d’une spiritualité. Il était le vitrail antique de l’Église avant que ne soient inventés les églises de pierre et leurs vitraux pour propager au peuple illettré les écrits bibliques.
Les évangiles étaient donc des écrits de vulgarisation, ils étaient loin de contenir l’Évangile chrétien, mais ils en étaient une annonce à un public donné. Ils étaient destinés au petit peuple, ce petit peuple de l’antiquité romaine, si méprisé par les grands de ces temps-là et tenu à l’écart de ce que les savants et philosophes enseignait en tout petit comité. Les évangélistes ne le faisaient non par condescendance ni par rapacité de faire des adeptes, mais par réel souci du plus petit, pour l’élever lui aussi aux grandes idées qui les avaient bouleversés.
Pour leur parler, ils ont employé le seul langage que l’homme antique pouvait comprendre, le discours mythologique. Le Christ qu’ils leur présentaient n’était pas différent des héros de la mythologie gréco-latine. Ils naissent comme lui, d’une vierge et d’un dieu, et leurs destinées s’achèvent tout aussi tragiquement que celle du Christ sur la croix. Ce qu’ils leur montraient du Christ, leur parlait. Cela faisait écho en eux.
Pour une accroche, pour un début c’était suffisant, ensuite venait le temps de la catéchèse, d’un enseignement long.
Mais c’est là que le bât a blessé, le christianisme a été tué dans l’œuf par son succès. Toute cette masse de croyants, que l’on va organiser en Églises et dans lesquelles on va nommer souvent à la hâte, un évêque, ne bénéficieront pas tous du lent et patient enseignement des trop peu nombreux teleioi, de ceux qui étaient parachevés, parfaits dans la connaissance de la Voie (c’est bien ainsi que l’on appelait au début le christianisme avant de prendre ce nom qu’on lui connaît).
Cette masse croyante, trop mal enseignée, ne va pas avoir hélas une grande intelligence du discours chrétien, elle va souvent le gober au sens littéral, ou se perdre dans des considérations tout à fait hors de propos et s’enfoncer dans la mélasse des idées pour lesquelles on avait tenté précisément de l’en retirer, paganisme ou judaïsme.
Mais ces Églises avec leurs autorités instituées, vont très vite se percevoir comme chrétiennes au sens plein du terme, alors qu’elles n’étaient que ce qu’elles appelleront plus tard, des catéchumènes. La suite on la connaît. Un Marcion aura beau tirer la sonnette d’alarme, il sera trop tard, la dégénérescence était consommée.
Parallèlement à cela, il faut comprendre que les évangiles étaient une annonce ouverte, de ce qui ne pouvait pas être annoncé ouvertement.
La liberté de conscience, n’existait pas, on sait depuis Socrate comment ceux qui remettaient en question les religions établies étaient traités. Par un jugement et la mort. Jésus ne fera pas exception tout comme le premier chrétien martyrisé, Etienne, lapidé sur place sans autre forme de procès. Paul, malgré toutes les précautions de se faire « tout à tous » (I Corinthiens 9 :22), ne fera pas exception. Lui aussi finira par être jugé et exécuté.
Les évangiles ont donc essayé d’être le support écrit, d’un enseignement oral qui ne pouvait pas être écrit, mais enseigné seulement peu à peu à un public trié.
C’est pourquoi les évangiles synoptiques rapportent beaucoup plus ce que Jésus faisait que ce qu’il disait. Et quand ils en rapportent les propos, c’est le discours qu’il disait à tous, la plupart du temps sous forme de paraboles, mais pas ce qu’il enseignait en privé à ses disciples comme Marc l’écrit en toutes lettres : « Il ne leur parlait pas sans paraboles ; mais en privé, il expliquait tout à ses disciples » (Marc 4 :34).
Les évangiles ne rapportent pas vraiment l’enseignement de Jésus, de ce qu’il enseignait en privé à ses disciples, de cela ils n’en disent quasiment mot. Les évangélistes se gardent bien la plupart du temps de commenter les paraboles, et quand ils les commentent parfois, les explications sont légères. Chez certaines d’ailleurs, les exégètes y voient des gloses tardives que l’on a surajouté par la suite. Cela indique que les textes écrits, les évangiles, ne pouvaient servir de support qu’à l’enseignement du teleios, c’est-à-dire en Grec de celui qui a été initié. Seul celui-ci, celui qui savait, celui qui avait bénéficié de l’enseignement ésotérique et non exotérique de Jésus qui pouvait révéler le sens caché de la lettre évangélique. Pas seulement les paraboles, mais aussi les actes du Christ, qui sont en eux même des paraboles, des allégories, des métaphores.
Jésus n’a jamais guéri des infirmes, ni marché sur l’eau, entre autre exemple, mais on l’a fait faire au Christ pour illustrer par ce biais-là une toute autre annonce.
L’évangile de Jean quant à lui, est bâti sur un principe tout à fait inverse, il parle peu de ce que faisait Jésus, mais il rapporte des pans entiers de ses discours. L’évangile de Jean est l’évangile canonique le plus tardif.
Il est né pour ainsi dire en terre chrétienne, alors que les synoptiques naissent en terre juive. L’évangile de Jean est donc plus à même de dire les choses un peu plus ouvertement, mais guère plus. Il tente également de rectifier les déviations tirées des synoptiques, c’est pourquoi l’évangile de Jean tait par exemple l’épisode de la cène. Cène qui était si mal comprise que certains y voyait une nouvelle pâque du judaïsme ou les repas dionysiaques du paganisme. Devant ces excès, Jean a préféré la supprimer.
Les évangiles ne doivent pas être autrement considérés que comme des outils de propagande et de vulgarisation qui étaient adressés à un public donné dans un temps donné et qu’à cela s’est ajouté dans le temps, des modifications et altérations de copistes qui brouillent pas mal les pistes.
Les épîtres de Paul, sont elles aussi révélatrices de cette adaptation du discours au public à qui il prêche. Il dit par exemple aux chrétiens de l’Église de Corinthe à propos de l’enseignement qu’ils ont reçu : « Je vous ai donné du lait, non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter; et vous ne le pouvez pas même à présent, parce que vous êtes encore charnels » (I Corinthiens 3 :2). Paul réservait en effet ce qu’il appelait « la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée » (I Corinthiens 2 : 7) aux seuls teleioi, les parfaits (voir I Corinthiens 2 : 6). Or il est affligeant de constater que l’on a pris le « petit lait » de l’enseignement de Paul pour « la nourriture solide » de l’Évangile, pour reprendre ses expressions. Les évangiles, comme les épîtres ne sont rien d’autres au fond qu’une prédication de l’Église qu’on a eu le tort de fixer et d’ériger en référence absolue.
Ce qui est Évangile, ce ne sont pas les évangiles, ni les épîtres de Paul mais la prédication de l’Église, c’est-à-dire des chrétiens, de ceux qui par leur style de vie démontrent ce qu’ils prêchent.
L’Évangile est inspiration divine, Il est, comme le disait si bien Paul, « intelligence spirituelle » (Colossiens 1 :9) qui appartient à chacun puisqu’il est le fruit d’un éveil intérieur. Il est ce « Royaume » dont Jésus disait qu’il était à l’intérieur de nous. C’est pourquoi il disait, que celui qui avait des oreilles pour entendre, entende. Un éclairement intérieur ne peut s’imposer de l’extérieur à un autre, on peut juste essayer de le susciter chez l’autre. Une vérité ne s’impose pas, elle se découvre. C’était là toute la démarche des écrits chrétiens, être ce support de la prédication qui a pour objet de susciter le renouveau de l’intelligence que le monde obscurcit.
Ce renouveau de l’intelligence, les évangiles l’appellent descente du Saint Esprit.
Descente qui est magnifiquement illustrée dans le récit de la pentecôte et qui sera par la suite signifiée par l’imposition des mains des apôtres.